DIVINE
ORDONNANCE
Dialogue entre un médecin & son patient : mars
2013, dans un cabinet de Vitré.
-
Je
souffre Docteur, je souffre et il n’est pas un jour où la douleur ne
m’accable ! Que faire, que faire, moi qui ne bois pourtant que de l’eau,
me couche tôt, et ne fais que faire attention… à tout ? Je ne veux pas de
médicaments non plus ! Je ne sais plus à quel saint me vouer, ni vers qui
me tourner !
Le médecin, hochant peu à peu la tête,
puis mortifié.
-
Mais mon pauvre petit malheureux, votre
problème est justement là ! Je diagnostique chez vous ce manque
d’appétence, fort commun au demeurant, à nombre de nos concitoyens ! L’envie
de vivre vous a quitté ! Et vous avez sans doute oublié notre bonne mère
Nature ! Vous voilà fort mal enseigné ! Qui vous a guidé dans ce
choix de préceptes mortifères ? Tudieu ! Qu’entends-je là ? Il
est grand temps que je vous prescrive un traitement de choc !
-
Un traitement de choc ? Mais j’ai peur,
Docteur, j’ai peur ?
-
Peur de mourir, assurément ! Vous voilà
bien mal embarqué avec cette vie de renoncement total ! Vous ne m’avez
parlé, remarquez-le, qu’avec des tournures de phrases négatives, voire
restrictives ! C’est là que gît le mal ! Quand on s’exprime ainsi,
plus de volontarisme, plus d’envie, plus de joie ! La mort,
assurément !
-
Je vous crois Docteur, je vous crois !
Dites-moi ce que je dois faire ! J’ai pourtant lu bien des journaux, bien
des revues, écouté les émissions de télévision sur la santé, la prévention, la
prudence…
-
Stop ! Je vous en prie ! Je vais vous
rédiger, ou plutôt, nous allons rédiger ensemble une ordonnance. Posez-moi des
questions précises et j’y répondrai séance tenante, par une solution efficace,
et de mon cru. Allez, commencez, n’ayez crainte. Vous êtes en ces lieux (grand geste de la main, très docte)
entre les mains d’Hippocrate !
-
Merci, Docteur, merci…
Le patient, hésitant, se grattant la tête,
cherchant ses mots, avec lenteur…
-
Docteur, ma vie… est… un… échec !
-
Alors, je prescris (tout en écrivant) un blanc sec ! Un verre à jeun tous les
matins !
-
A peine sorti de mon lit ?
(Etonné, surpris, courroucé)
-
Oui, un Muscadet sur Lie !
(Hochements de tête dubitatifs)
-
Docteur, après mon petit déjeuner, je me rends
à mon établi…
-
Ce sera donc, un grand verre de petit Chablis !
-
Pourquoi petit ?
-
Parce que l’inverse, un petit verre de grand
Chablis, tous les jours, cela va grever votre budget !
-
Oh, vous savez, j’ai tout de même les
moyens !
-
Pas ceux de vivre longtemps, croyez-moi, avec
la vie actuelle que vous menez !
-
Ah, bon, très bien. (Un peu rassuré). A midi, je déjeune en compagnie…
-
Alors là, Saumur Champigny ! Obligatoire,
mon cher ami !
-
Et avec le fromage ?
-
Un petit verre d’Hermitage ?
-
Et pour retrouver la niaque ?
-
Pardi ! Un plein verre de Cognac !
-
Comme vous y allez !
-
C’est parce que votre cas est grave,
justement !
-
J’ai l’habitude de faire la sieste, pour mieux
digérer.
-
Pas question malheureux ! Allez donc
plutôt jouer aux boules, en dégustant un Côtes de Toul !
-
Avec vous, il faut donc boire du vin ?
-
Evidemment, sinon c’est l’enfer assuré !
Croyez-moi !
-
Donc, si je gagne aux boules, pour fêter la
victoire… ?
-
Un vin de Loire !
-
Et en cas de défaite ?
-
Une Clairette !
-
Je vais ensuite au jardin. D’habitude,
c’étaient trois grands verres d’eau…
-
Maintenant, ce sera du Bordeaux ! Gardez
l’eau pour arroser les salades, ou faites-le à la limonade !
-
Mon jardin, j’en suis très fier, j’en serai
même bouffi d’orgueil !
-
Contre l’orgueil, une solution : c’est
Bourgueil, ou Saint-Emilion !
-
Mais vous avez réponse à tout !
-
C’est mon métier, le croyez-vous ?
-
Bien sûr, bien sûr…
Toussotant, gêné, sur sa chaise…
-
Docteur, pour les parties de jambe en l’air,
elles sont rares je n’y crois plus guère…ça me chagrine…
-
Château Chasse-Spleen !
-
Et pour l’affaire ?
-
Château Bel Air !
-
Après l’amour ?
-
Château Giscours !
Changeant de registre
-
Contre la pluie ?
-
Un bon Brouilly !
-
Et contre la, excusez-moi… connerie ?
-
Quelques verres de Fleurie !
-
Nous voilà donc aux Beaujolais…
-
Oui, tous les vins de France suffisent à
soigner votre maladie. Vous voyez, votre cas n’était pas si compliqué !
Voilà votre ordonnance. Rendez-vous immédiatement chez le caviste du coin,
c’est un pharmacien hors pair !
-
Merci Docteur, je vous dois combien ?
-
Pour la consultation ?
-
Oui.
-
Trois bouteilles de Haut-Brion ! Rapportez
les moi à la prochaine occasion !
-
Et je ne serai plus souffrant ?
-
J’y veillerai, Docteur, j’y veillerai.
Il
sort, très satisfait, serrant l’ordonnance sur son cœur, puis l’embrassant à
pleine bouche, tête renversée, comme s’il buvait.
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