Noire fiction adossée à l’Histoire,
le roman de Charles Doursenaud
« Chaque jour vers l’enfer » ranime les braises de cette terrible période
de la Révolution française : la Terreur. En Bretagne, dans le département
des Côtes du Nord ; et plus précisément, dans la partie Nord-Ouest de ce
département, aux portes du Trégor.
Tiré par un efficace attelage -
désir d’Histoire et désir d’esthétique – ce récit nous tient en haleine par ses
effets de réel, un vocabulaire très précis et des dialogues aux niveaux de
langue variés ; et surtout par des personnages fictifs ou historiques, mais
véritables vivants, porteurs d’entrailles.
Que ce soit par la noirceur de
certaines scènes poussées jusqu’à l’horreur, que ce soit par la rigueur
historique et le travail d’archiviste mené par l’auteur, que ce soit par la
comédie humaine exposée ici dans toute sa perversité et ses abus de pouvoir, ce
roman met en lumière la décomposition sociale. L’écriture met l’accent sur les
antagonismes de classe, insiste sur les personnages jaloux, sans foi ni loi,
prêts à tout pour succomber à l’argent facile, profiter de ventes illicites.
Déchéance et bassesse humaine sont ici de mise. Et cette mise en voix,
polymorphe, politique et poétique, sociétale, terriblement humaine, donne à ce
livre son rythme échevelé et sa noirceur. Même si l’humour, quelquefois noir,
vient ébaucher chez le lecteur un timide sourire.
Le couple de « héros »
qui mène cette danse macabre veut abolir les frontières de l’Art et de la
bienséance par le truchement de têtes guillotinées. Toute doxa est ici remise
en cause, au profit d’un égoïsme morbide qui tourne à la plus totale
perversion. On n’en dévoilera pas plus. Car cette enquête au long cours, je dis
bien enquête, recherche, au sens grec du mot Historia, est une quête du Sujet
aux prises avec l’Histoire. Une quête de l’individu, souvent victime ou
bourreau dans cette époque cruelle, amorale, si bien nommée La Terreur. Charles
Doursenaud n’est cependant pas un juge, mais un historien et un artiste. Pas
question ici de confondre l’auteur et le narrateur. De juger cette période
révolutionnaire à l’aune de la nôtre en 2020. Si certains personnages (le
Président du Tribunal, l’Accusateur public, l’Administrateur du Directoire, le Président
du comité de surveillance – titres tranchants comme un couperet) sont tous
atteints « d’une véritable paranoïa de l’ordre », leur seule
description physique et morale (basée sur de réels témoignages et documents
d’archives) est un réquisitoire sans appel. L’auteur prend la peine, par la
férocité du trait – quelquefois un peu appuyé, mais c’est là la liberté de
l’écrivain et je la respecte, à décrire des personnages qui usurpent la plupart
du temps leurs pouvoirs et qui passent pour de méchantes et dangereuses
marionnettes assujetties à un jacobinisme ubuesque. Gonflés d’orgueil,
baudruches grenouillantes, ces citoyens qui se haussent du col nous rappellent
la fable de La Fontaine : « la grenouille qui veut se faire aussi
grosse que le bœuf. »
Balzac, Dumas père et fils,
Eugène Sue, Léon Bloy, Mirbeau, les feuilletonistes de la fin du XIX siècle,
toute une littérature dont on sent que l’auteur est féru. Le titre des onze
chapitres et la teneur du prologue de « Chaque jour vers l’enfer »
sont la preuve de la maîtrise de notre écrivain d’origine trécorroise et dont
la passion est de relater les faits historiques de cette époque à travers
d’autres publications dont il a le secret : écrire avec déontologie sur la
chose publique, les faits divers qui ont défrayé la chronique locale à diverses
époques, la Bretagne et les Bretons. Le style de Charles Doursenaud est à la
bonne hauteur : humaine ; mais une humanité dévoyée, plongeant,
nageant et baignant dans les turpitudes les plus graves. Éros et Thanatos sont ici
convoqués ! Tristes cires ! Pour la gloire d’un récit flamboyant.
Dont l’écriture oscille entre Ombre et Lumière, entre cruauté et beauté. Beauté
de la création littéraire où l’auteur distille avec science et conscience
informations tirées d’archives, et intrigues romanesques, dignes d’un bon
polar, qui nous invitent à tourner les pages avec frisson et désir d’aventures.
Les lauriers des vainqueurs ou
des conquérants n’existent ici que s’ils ont été acquis à la faveur de la boue,
du stupre et du sang. Sang des victimes, des sans grade, des bannis et des
oubliés de l’Histoire. Les suppliciés crient vengeance et seul un auteur épris
de son art d’écriture peut ici leur rendre leur humanité. En la personne d’un
Pierre Taupin, personnage exemplaire qui relance le récit « où tout est
bien qui finit mal ».
Sauf pour l’écrivain Charles
Doursenaud qui mérite, en gardant la tête sur les épaules, les lauriers de la
gloire et de futurs prix littéraires.
Œuvre au service de l’Art et de
l’Histoire, ce roman est digne de figurer dans la bibliothèque d’un honnête
homme qui a du nez. Et du goût pour le récit d’Aventure - éternel désir
d’histoires et d’esthétique.
Yann Venner, Trébeurden, le 13
juin 2020
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