dimanche 5 juin 2011

nouvelle


                                                    CHAPITRE UN



Tournée vers le soleil levant, la petite route menant au port de Landéhouan n'en finissait pas de descendre. Mais en ce jour de juin 1935, le soleil était encore loin d'être levé.
Bien avant l'aube, à l'heure où les premières ouvrières s'habillaient dans leur sombre réduit, à l'heure où le gardien de nuit ouvrait les portes de la sardinerie, on entendit claquer les sabots de bois du Père Laplanche. L'homme, suivi de son fidèle chien, s'empressait d'aller fermer les yeux d'un  mourant. Des fumées grisâtres sortaient par bouffées des hautes cheminées de l'usine à poissons. Dans moins d'une heure, l'entreprise engloutirait son flot d'ouvrières.
Mais Ernest Le Gallic était déjà mort. Jamais plus il n'assisterait au défilé silencieux de ces dizaines de femmes qui, têtes baissées et marchant d'un pas lourd encore ensommeillé, se dirigeaient vers leur ingrate tâche. De six heures à midi, puis relayées par une autre équipe, qui elle-même était remplacée vers dix-huit heures, les ouvrières mal rétribuées de Joseph Farchec se rendaient au travail. Sur un immense tapis roulant chargé de sardines et de glace pilée, on s'employait six heures durant à y trancher des têtes, ouvrir des ventres luisants, lever et découper des filets. Puis, un peu plus loin, d'autres femmes aux bras chargés de poissons morts prenaient le relais. Plongées dans une friture bouillante, les sardines étaient alors saisies avant de se retrouver enfermées pour quelques temps dans de bien jolies boîtes de fer blanc qui seraient bientôt ouvertes par d'innocents appétits.
Ernest Le Gallic était mort. On allait l'enfermer à son tour dans une boîte de bois blanc. Son corps serait alors au fil des mois la proie des vers, insectes, araignées et multiples dévoreurs qui se nourrissent en abondance de tels déchets. Le cycle de la vie souterraine allait son petit train.

Le Père Laplanche accéléra le pas. Il ne tenait pas à rencontrer ces femmes de l'usine qui pour la plus part rejetaient la foi du Bon Dieu sous prétexte que ce dernier, « Ce traître » proféraient-elles, « laissait des patrons s'enrichir sur leur dos. » L'enfer était de cette terre et pas question pour elles de croire au paradis. Venir au monde pour se retrouver volée, flouée, abusée et trompée par de cyniques hommes ne méritait pas que l'on perdît son temps à croire à toutes ces bondieuseries plus cruels qu'un méchant roman photos. Plutôt que de se tourner vers les Cieux, les travailleuses préféraient bien souvent rejoindre le bistrot, pour s’y retrouver entre femmes et repeindre le monde. Et là, au milieu des fumées de tabac, entre deux verres de lambig ou de méchante gnôle, on parlait de révolution, d'anarchie et de grèves.
Non, les sardinières de Landéhouan n'étaient pas des femmes soumises. Elles comptaient bien le faire savoir en haut lieu & changer leur sort.

Avec de telles harpies, le Père Laplanche, tout curé qu'il fût, aurait pu très bien se retrouver châtré ! De colère et de douleur imaginées, il serra les cuisses un instant avant d'accélérer encore plus le pas.




Quand il arriva au domicile de la veuve, il sut faire le dos rond, présentant un profil de martyr. Son chien Pildu attendait à la porte, sombre bête abrutie. Son maître l'avait recueilli, non par charité, mais plutôt pour se protéger de ces amazones de village, toujours prêtes à en découdre avec les ennemis du peuple. Mais Pildu, incapable de défendre le curé, essayait de montrer les dents en un affreux rictus qui lui déformait la gueule et lui faisait fermer les yeux.

-          Ton chien, l'est encore moins méchant que toi ! Lui au moins n'est pas venu sur terre pour y faire des sermons ! Pour sûr, s'il savait parler, c'est pas en latin de cuisine qu'il nous dirait de prier pour nos âmes ! Nos âmes, elles te disent «  Cor ! » Et merde à Celui qui l'entendra !
-         Pauvres pécheresses, vous voulez donc rôtir en enfer ?
-         En enfer, on y est déjà avec ce Joseph Farchec qui s'y entend pour nous exploiter. Et toi, tu voudrais le défendre parce qu'il vient tous les dimanches à la messe ? La religion, c'est pire que l'opium du peuple, ajouta une ouvrière. C'est un bâton merdeux qui tape trop fort sur les malheureux !
-         Allez en paix mes filles, répondait le curé, incapable de trouver un argument décent devant ces furies en révolte.

La veuve Le Gallic n'osait montrer son mécontentement. Bien sûr, Monsieur le curé était venu hier soir donner l'absolution au triste grabataire. Mais il n'était resté que cinq minutes, le temps de descendre deux verres de cidre. Un Pater Noster, quelques phrases balbutiées à la hâte, et voilà l'affaire conclue.

-          Monsieur le curé, vous voilà enfin. Il a déliré toute la nuit, en appelant aux anges et à Saint Pierre. Il n'en finissait pas de parler de ces pauvres femmes qu'il voyait de son lit tous les matins depuis son accident !
-          Hélas, chère Héloïse, la vie est ainsi faite ! Dieu reconnaîtra les siens !
-         Et nous aussi, quand l'heure sera venue, il ne nous restera que les prières ? Pardon mon père, mais la vie est bien dure avec nous autres... Ne croyez-vous pas que...
-         Je crois au Père éternel créateur du ciel et de la terre, je crois en la vierge Marie et au seigneur notre Dieu...
-         J'espère au moins que notre Dieu nous expliquera. Et nous rendra des comptes, s'empressa de répondre la veuve...
-         Malheureuse, c'est le chagrin qui vous bouleverse à ce point ! Accueillons notre frère défunt dans la maison de Dieu !
-         Amen, répondit Héloïse. Je ne suis qu'une pauvre femme, pardon mon père.

On alluma deux bougies. Un crucifix de bois fut placé entre les mains du mort, ainsi qu'un chapelet de buis. On récita les prières. Le curé et la veuve versèrent une pauvre larme. La cérémonie à peine finie, le bruit des sabots des ouvrières se fit entendre dans la rue.
A suivre

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L'essence de la poésie est de mettre au défi notre condition.
La poésie nous apprend à rechercher au plus simple tout ce qui est transcendant et inépuisable.
Donc dans le rapport simple à soi-même.
La poésie n'est pas déploiement de mots dans un texte, ou agencement sans but, c’est une activité de l'esprit et de ce fait même toute une histoire, une civilisation et une philosophie.
Ecrire la poésie, c'est vouloir se défaire de l'autorité des systèmes de représentation ;
c’est donc se délivrer des interprétations que ces systèmes font projeter sur nous, c'est rendre à autrui le droit d'exister en nous…
L'attestation poétique n'est qu'un instant, qui secoue le langage pour lui permettre de se réorganiser sous le signe de plus d'immédiateté dans le rapport avec à soi-même.
La poésie est écoute des intuitions, des pensées pour "changer la vie".





















L'image


Dans La Crise de la culture, Hannah Arendt rappelle le sens du mot autorité, pris dans son acception étymologique : l’autorité est une augmentation. Une augmentation du pouvoir. Pendant longtemps, c’est la parole, celle des clercs, des poètes, des tribuns, qui a bénéficié de cette reconnaissance publique. Aujourd’hui, même si le pouvoir s’exerce toujours aussi efficacement dans la discrétion et le secret des palais et des loges, on peut constater à quel point c’est l’image et l’image seule qui est devenue l’agent de cette augmentation auprès du public. Dans certains cas même, qu’on se souvienne du « coup de boule » de Zidane, c'est une action en soi sans intérêt, faite par un type sans intérêt, mais qui, dans le contexte économique et politique d’une finale de coupe du monde, et celui du montage sémantique aussi ridicule que efficace depuis 98 du signifiant  « Zizou »,  s’est diffusée à la vitesse de la lumière dans l’esprit de millions des gens.
Tout ceci relève du lieu commun, du lieu le plus commun même. Nous vivons ainsi sous un régime des plus autoritaires qui soit, le régime de l’image, la société du spectacle. Et dans une société où, curieusement, chacun croit trouver dans l'image un moyen à sa portée de se  libérer.
Ainsi, l’image la plus terrifiante qui nous est imposée par cette curieuse société est celle que, par la mode, elle prétend permettre à chacun d'entre nous de donner de lui-même.
La mode qui, du temps des dandys pouvait encore permettre à un individu de marquer son originalité au sein de la communauté, est devenue la façon la plus conventionnelle que la dictature de l’image égalitaire offre à la personne - spécialement la jeune personne - pour trouver non plus sa place, mais ses contours, ses formes, son reflet dans le monde commun. Voyez ces troupeaux d’adolescents si similaires, à la déchirure de pantalon ou à la mèche de cheveux près, si conformes à ce que la société autoritaire attend désormais d’eux, tous pourtant si certains d’affirmer une originalité là où le terrorisme de la convention se saisit d’eux et de leurs illusions sans leur laisser la moindre chance, pour peu que leurs parents soient ce qu’il y a de pire au monde : d’éternels adolescents. Ainsi réifié par les bons soins de ses géniteurs qui n’ont (au sens propre) plus aucune autorité, l’adolescent des classes moyennes devient une sorte de projection – la plus conventionnelle qui soit – de leur souci constant d’intégration dans la société du spectacle. Une sorte d’enfant-sandwich, en quelque sorte, et dans tous les sens du terme puisque le voilà en effet pris entre ce qu’au fond ses parents attendent de lui (être au goût du jour, vivre sa jeunesse libérée…) et le tyran par excellence auquel il faut se plier pour être vraiment dans le rang : l’image, autoritaire et pédophage, devant laquelle il n’est plus de contestation politique possible.






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