Une
famille branchée !
Chez nous, la télé
trône au milieu du salon. Grande, imposante ! Ce meuble noir fait de
plastique et de diverses ferrailles installées à l’intérieur en d’inextricables
réseaux - de fils, de câbles, de pièces électroniques
diverses et variées - s’impose au
premier regard.
Je contemple donc la
télé, chaque fois que je me retrouve assis dans le vaste canapé du salon, face
à cet autel moderne devant lequel je sacrifie et prie plusieurs fois par jour.
Ma famille aussi n’est pas en reste. Fils, fille, femme, et moi-même, nous
quatre y allons de nos commentaires moqueurs, voire acerbes parfois.
Ce meuble de laque
noire nous nargue plusieurs fois par jour, en soirée surtout, à l’heure où,
après le dîner, nous nous installons au salon. Irène dans un fauteuil qui lui
permet de se tenir droite & de pouvoir tricoter à son aise, mon ils Michel
et ma fille Claire, m’entourant de leur corps adolescent de part et d’autre du
canapé violet, qui semble dégager des ondes de bonheur.
Voilà le modèle
familial dans son confort bourgeois, surpris sur le fait d’être une bonne
famille française. Image dépassant les frontières de notre beau pays, puisque j’imagine
à cette heure, que bien des peuples européens doivent faire la même chose,
certainement… Cliché convenu certes, mais il faut bien quelquefois sacrifier
aux clichés, puisque c’est la stricte vérité. Je ne saurais vous mentir !
Ma famille semble obsédée par cette foutue télé ! Les deux ados la
contemplent, telles deux vaches regardant passer un train. Irène, concentrée
sur sa tâche, agite ses aiguilles en tous sens, tandis que son regard flotte devant
l’écran.
Un journal à la main,
je tombe quelquefois sur la page des programmes télé, lisant par avance les
commentaires à propos des films, des reportages, des émissions politiques… Que
de choix qui s’offrent à nos yeux ! J’en aurais presque le vertige…
Michel nous propose une
glace, nous l’acceptons volontiers tandis qu’il se dirige de sa démarche
maladroite vers le frigo de la cuisine. Claire, heureuse de pouvoir converser
avec son papa, m’entretient de sa journée d’école, et du denier devoir qui lui
a valu un seize sur vingt. Il faut dire que nous avons la chance d’avoir deux
enfants plutôt bons élèves. Que du plaisir ! & je l’apprécie chaque
jour que Dieu fait.
Nous conversons ainsi,
Irène approuvant d’un signe de tête, Michel distribuant le dessert avec
gentillesse. Une famille heureuse, devant la télé. Je vous le répète, une bonne
famille française. Pas de quoi se vanter.
Et c’est ainsi presque
chaque soir de la semaine hormis le week-end, où nous partons pour la campagne.
Dans la maison de mes parents âgés, qui, comme nous, ont une immense télé, ou
plutôt, un écran noir rectangulaire ressemblant à un aquarium de nuit. Noir,
tout noir.
En effet, mes parents
et ma famille, nous avons la télé. Elle nous a été offerte par un malheureux
concours de circonstances. Mais jamais, au grand jamais, nous ne l’allumons !
On la regarde, et c’est bien suffisant. De savoir que ce meuble noir et laid
occupe la vie de millions de braves gens nous horrifie. Et de plus, éclairés à la
bougie, nous n’avons même pas l’électricité… Pour en faire quoi d’ailleurs ?
FIN