mercredi 29 décembre 2010

roman des pierres

HYMNE AU VER DE TERRE in « mémoires d’encre… »

Albert Wurm :
« Nous devons garder nos racines dans la Terre, et élever notre Cœur vers le Ciel. »
« Mais on ne saurait vivre d’amour sans la Terre », répond un ver de terre amoureux d’une étoile…


LES VERS DE TERRE
Ce sont d’insatiables et inépuisables tubes digestifs. Les vers de terre peuvent avaler jusqu’à 400 tonnes par hectare et par an ! En dix ans, ils sont capables de digérer l’intégralité de la couche arable d’un sol sur 25 centimètres de profondeur. Chez les populations de lombriciens, il existe une centaine d’espèces en France, qui ingèrent et malaxent sans relâche la litière végétale en décomposition à la surface du sol et la rejettent sous forme de boulettes fécales, aussi bien à la surface du sol sur lequel apparaissent ces « turricules » ou plus en profondeur dans leurs galeries. Ils brassent ainsi la matière organique et la matière minérale du sol. « Ils créent des complexes organo-minéraux sous forme de micro-agrégats, le meilleur du sol. C’est ce qui lui donne sa structure grumeleuse », explique le spécialiste de la faune du sol Daniel Cluzeau, du laboratoire écosystèmes, biodiversité, évolution, du CNRS et de l’université de Rennes I.
Le ver de terre, objet d’étude insolite, est, ces toutes dernières années, source d’un véritable intérêt scientifique. Il faut dire qu’à mesure qu’il disparaît des sols de France, on lui prête un rôle de plus en plus décisif dans leur bonne santé. Une prairie permanente non traitée abrite 150 à 300 individus au mètre carré, appartenant à une dizaine d’espèces différentes de lombriciens, soit une tonne à 2,5 tonnes de vers de terre par hectare. Dans un champ de céréales ou un vignoble, soumis de longue date à une pratique agricole très intensive, des reliquats de populations un à trois vers de terre au mètre carré, soit 50 kg à l’hectare ont pu être recensés.
Le sol ayant une grande capacité d’amortissement et le réseau de galeries pouvant perdurer une dizaine d’années après la disparition des vers, l’ampleur du dommage n’est perceptible qu’à retardement. Alors, le jour où les problèmes apparaissent, l’état de dégradation est très avancé.
C’est qu’en quelques années, l’aide des lombriciens est apparue décisive. Les plus petits (les épigés), de moins de 5 cm, vivent à la surface et œuvrent à la fragmentation du couvert végétal. Les moyens (les endogés) mesurent jusqu’à 20cm. Ils restent sous terre, se nourrissent de matière organique déjà dégradée et creusent un réseau de galeries horizontales petites et ramifiées. Et il y a les rois (les anéciques), les plus grands vers de terre, de 10 à 110 cm, inégalables mineurs de fond, qui forent des galeries verticales, jusqu’à trois mètres de profondeur, dans un incessant va et vient entre les couches profondes et la surface où ils viennent se nourrir la nuit pour échapper aux prédateurs qui raffolent de cet apport en protéines. Mais pire que les oiseaux, renards ou sangliers, la charrue est leur ennemi numéro un. D’aucuns aujourd’hui renoncent au travail mécanisé pour laisser œuvrer ces ingénieurs du sol. Car l’architecture de leurs galeries est un vrai don de la nature. Ce réseau de canalisations jusqu’à 500 m linéaires par mètre carré assure à la fois une respiration du sol et une bonne pénétration des eaux. La porosité accroît la capacité de rétention de l’eau qui ne ruisselle pas ni ne s’écoule trop vite en profondeur. La microflore a alors le temps d’épurer l’eau avant qu’elle ne gagne les nappes souterraines. Les racines des plantes sauvages ou cultivées se nourrissent des éléments minéraux préparés par les lombriciens et profitent des galeries pour pénétrer plus profondément dans le sol ; cela participe à l’approfondissement de la couche arable.
La disparition de ces précieux architectes n’est cependant pas inéluctable. En multipliant les pratiques positives –non retournement de la terre, couvert végétal, limitation des intrants, etc., Daniel Cluzeau a pu constater qu’au bout de quelques années, les populations résiduelles de quelques unités de vers de terre au mètre carré pouvaient passer à quelques dizaines au mètre carré.
Faut-il condamner la pratique du labour ?
Au regard des nouvelles fonctions environnementales du sol (stockage du carbone, préservation de la biodiversité, lutte contre l’érosion), le labour systématique présente plusieurs inconvénients. Lors du labour, il y a un retournement du sol, l’ensemble des résidus de la récolte précédente (telle la paille de blé ou les feuilles de betterave) est enfoui. La surface du sol, alors nu, se dégrade plus rapidement sous l’action de la pluie, favorisant le ruissellement générateur d’érosion. Il peut aussi se créer une « semelle de labour », c’est à dire un tassement du sol à 30 centimètres de profondeur (là où les roues du tracteur et la charrue prennent appui), limitant l’infiltration de l’eau et la pénétration des racines. Inversement, s’ils restent en surface, ces résidus de culture jouent un rôle protecteur contre l’action de la pluie. En outre, ils servent de gîte et de couvert à la faune du sol. Il est clair que l’enfouissement de cette nourriture se traduit par une baisse quantitative des organismes vivants dans le sol. De plus, l’action de retournement est préjudiciable aux vers de terre. Enfin, le labour accélère la décomposition et la minéralisation de la matière organique du sol. Le carbone stocké dans la biomasse est alors plus vite relâché dans l’atmosphère. Pourtant, plusieurs arguments ont longtemps plaidé en faveur du labour, notamment parce que celui ci améliore la structure du sol et favorise son aération. Même si l’on peut aujourd’hui obtenir des résultats comparables grâce à de nouveaux outils de travail du sol profond, sans retournement. Et, argument de poids, le retournement est un moyen mécanique de lutte contre les adventices (les mauvaises herbes). Le non labour s’accompagne d’un recours obligatoire aux herbicides, sauf à envisager d’autres moyens de lutte. L’avenir réside certainement dans le bon usage des périodes d’intercultures, c’est à dire dans les cultures intermédiaires (céréales, moutarde colza, radis, etc.) plantées après les récoltes d’été et qui ont uniquement vocation à produire de la biomasse (il n’y a pas production de grain, la culture étant détruite soit par le gel hivernal, soit par un herbicide). Enfin, il convient d’étudier les meilleures rotations de culture, certaines alternances étant naturellement favorables à la lutte contre les adventices. La suppression du labour n’est donc pas une fin en soi.
« La moitié des agriculteurs pourraient l’abandonner »
À travers le labour systématique, les agriculteurs cherchent à la fois à se débarrasser des débris végétaux et à obtenir une fertilisation naturelle grâce à la consommation d’humus qui s’est transformé en sels minéraux. Mais en œuvrant ainsi, le sol surexploité finit par s’appauvrir. On peut estimer aujourd’hui que quelque 10 000 agriculteurs dont les exploitations représentent environ 10 % des terres cultivées ont décidé d’opter pour un abandon progressif du travail du sol. Il faut alors plusieurs années avant que le sol ne retrouve un bon niveau d’activité biologique grâce à l’adoption de pratiques positives (couvert végétal, rotation des cultures, etc.). Un agriculteur qui opte pour les techniques culturales simplifiées réalise 20 à 40 % d’économie en coût de mécanisation (notamment sur le poste carburant). Celui qui va plus loin et pratique le semis direct arrive, lui, à diviser par deux sa consommation de carburant. Et cela sans perte de productivité, si les techniques adoptées sont bien maîtrisées. Les partisans du non labour arrivent aussi à diminuer les apports d’engrais pour la fertilisation. Reste encore, il est vrai, à régler le problème du recours aux produits phytosanitaires pour le désherbage. Nous y travaillons. Des pays comme le Brésil, plus en avance que nous, en utilisent peu. Nous avons donc devant nous une grande marge de progrès. Cela devrait permettre d’envisager à terme une convergence d’approche avec l’agriculture biologique. Malheureusement, ces techniques sont discréditées en France et peu soutenues par les pouvoirs publics. Il n’est certes pas très étonnant que les industriels de l’agrochimie et du matériel agricole soient peu désireux que les agriculteurs reprennent de l’autonomie de gestion dans leurs champs. Pourtant, ces pratiques sont vertueuses d’un point de vue environnemental, aussi bien pour préserver la qualité des sols que pour limiter les rejets de gaz à effet de serre (grâce à une moindre consommation de carburant et à un meilleur stockage du carbone dans la matière organique). Elles ont aussi montré leur efficacité technique et économique. Elles devraient, de ce fait, pouvoir concerner au moins la moitié des terres cultivées.
Je pense sincèrement qu’en choisissant un système agricole, il faut tenir compte de la vie de nos sols. Les vers de terre en sont probablement les meilleurs ambassadeurs. En les connaissant mieux, peut-être arriverons-nous à leur redonner la place et les responsabilités qu’ils savent si bien prendre.
Les vers de terre jouent un rôle essentiel dans nos sols
D’abord, il n’existe pas un ver de terre, mais de nombreuses espèces adaptées à des situations écologiques différentes. En les observant de plus près, vous remarquerez que leur taille, leur forme et leurs couleurs diffèrent. Mais toutes les espèces de vers de terre ont en commun la faculté de se nourrir principalement de déchets végétaux plus ou moins décomposés. Les vers de terre ne sont jamais des ravageurs et ne peuvent pas provoquer de dégâts aux cultures.
Les vers de terre que nous retrouvons dans nos champs appartiennent à trois groupes écologiques différents :
• Les épigés, de petite taille, vivent près de la surface du sol. Ils se nourrissent de matières organiques fraîches et représentent 5 % de la biomasse des vers• Les endogés, de taille moyenne, vivent dans les 20 premiers centimètres du sol. Ils se nourrissent de matière organique dispersée dans la partie minérale du sol et sont responsables des nombreuses galeries creusées horizontalement. Ils représentent de 20 à 40 % de la biomasse des vers de terre du sol.
• Les anéciques, les gros, cherchent leur nourriture à la surface du sol et la distribuent dans tout le profil du sol grâce aux galeries verticales qu’ils creusent. Ils représentent 40 à 60 % de la biomasse des vers de terre du sol.
Les impacts des vers de terre sur la fertilité du sol sont nombreux :
1. Leurs nombreuses galeries permettent une meilleure infiltration de l’eau. 2. Les tunnels qu’ils creusent favorisent une meilleure aération du sol. 3. Ils sont capables de briser la semelle de labour. 4. Ils diminuent les zones de compaction. 5. Ils gèrent efficacement les matières organiques fraîches 6. Ils stimulent la croissance des plantes. 7. Les analyses de sol en sont améliorées. 8. Le pH est stabilisé. 9. Leur activité encourage la prolifération des microbes. 10. Et la structure des sols est grandement améliorée.
Les vers de terre et le travail du sol
Les vers de terre réalisent un travail souterrain capable de supplanter celui de la charrue. Leur rôle est largement reconnu depuis longtemps. En 1882, Darwin disait : « La charrue est une des inventions les plus anciennes et les plus importantes de l’homme, mais longtemps avant qu’elle n’existe, le sol était de fait labouré régulièrement par les vers de terre et il ne cessera jamais de l’être encore. »
Les vers de terre colonisent tous les étages du sol. Un des rôles les plus visibles du ver de terre est l’amélioration de la structure du sol. Les vers de terre ingèrent et digèrent le sol. Cette activité permet de brasser le sol, de fournir un espace de vie favorable aux micro-organismes et de disperser la matière organique et les organismes vivants dans tout le profil du sol.
Combinés aux résidus laissés à la surface du sol, les turricules et les amas d’éléments organiques, véritables garde-manger, limitent l’érosion et le ruissellement en diversifiant la surface du sol.
Un laboureur infatigable : les vers de terre mangent tout le temps quand ils ne sont pas en arrêt de travail pour cause de froid… Les quantités ingérées de litière et de terre transitant annuellement à travers leur tube varient entre 100 et 400 kg par kilogramme de biomasse vivante. Cette variation dépend de l’espèce de vers en question.
Ce brassage intime des matières organiques et minérales contribue fortement à la création et au maintien de la structure grumeleuse du sol. Lors de la digestion, les vers de terre épigés fragmentent les résidus végétaux pour que les anéciques les enfouissent.
Un draineur sous-estimé : grâce à leurs nombreuses galeries qui parcourent le sol dans tous les sens, les vers de terre améliorent aussi la macroporosité du sol. Ceci se traduit par une meilleure infiltration de l’eau dans le sol, moins de ruissellement, et aussi une meilleure exploration du sol par les racines.
Un facilitateur de la fertilité du sol : les vers de terre n’augmentent pas les éléments nutritifs, mais les rendent plus assimilables. La façon de mesurer l’amélioration du sol grâce à l’action des vers de terre diffère d’une étude à l’autre. Toutefois, ces études sont unanimes sur le fait que les vers de terre améliorent le sol.
Chose certaine, les vers de terre augmentent l’activité microbienne, un élément essentiel de la fertilité du sol. Le tableau suivant présente la composition des turricules de vers de terre et de la terre arable à différentes profondeurs. Ces données sont le résultat d’une étude menée par Lunt et Jacobson, Minnich en 1972.
Un protecteur des cultures : parce qu’ils se nourrissent des résidus de cultures, les vers de terre en empêchent l’accumulation, réduisant ainsi la prolifération des ravageurs.
L’influence des pratiques agricoles sur la survie des vers de terre
La population des vers de terre varie selon la région, bien sûr, mais aussi selon les pratiques agricoles adoptées. La population des vers de terre est affectée d’abord par l’abondance de nourriture et ensuite par le positionnement de celle-ci. Plus les résidus sont enfouis, moins ils sont disponibles pour les vers de terre.
La règle est donc très simple. De la nourriture et en surface, s’il vous plaît.
Laisser les résidus en surface : les vers de terre viendront les chercher et seront dans un meilleur environnement pour les décomposer, un environnement aérobique, c’est-à-dire en présence d’oxygène. D’autant plus que l’humidité conservée en surface par la couverture de résidus favorise leur reproduction.
Favoriser les apports de matières organiques : les résidus de culture sans aucun doute, mais il ne faut pas négliger les engrais organiques.

Cette balance mesure la biomasse microbienne du sol sous différents systèmes de culture.
1. Donnez-leur toute la nourriture possible. 2. Laissez la nourriture sur le dessus de la table. 3. Gardez un toit au-dessus de leur tête (genre résidus…) 4. Laissez-les tranquilles !
Avez-vous déjà entendu ce vieux proverbe paysan ? « Le soit disant appelé Dieu sait comment s’obtient la fertilité de la terre, et il en a confié le secret aux vers de terre. »
Nous sommes dans un monde où les nouveaux défis sont de faire autant, sinon plus, avec moins, souvent beaucoup moins, d’intrants. Les gaz à effet de serre nous amènent à réfléchir sur notre consommation énergétique. Le développement durable veut nous voir adopter des pratiques qui permettront d’accroître la biodiversité.
En choisissant des pratiques agricoles de conservation qui préservent et encouragent le développement des populations de vers de terre dans nos champs, nous mettons toutes les chances de notre côté pour améliorer le potentiel de production de nos sols. Ces pratiques agricoles de conservation comprennent tout système qui permet de garder une couverture de 30 % de résidus et plus à la surface du sol, et ce, après semis. Elles comprennent aussi et sûrement des rotations à plusieurs cultures qui permettent une alimentation variée pour nos amis les vers de terre.
La charrue est une des inventions les plus anciennes et les plus précieuses de l’homme, mais longtemps avant qu’elle existât, le sol était de fait labouré par les vers de terre et il ne cessera jamais de l’être encore. Il est permis de douter qu’il y ait beaucoup d’autres animaux qui aient joué dans l’histoire du globe un rôle aussi important que ces créatures d’une organisation si inférieure.
Glissez un tube, le tube digestif, à l’intérieur d’un autre fait d’anneaux successifs (de 80 à 450) dotés de muscles qui permettent contraction et extension et vous aurez une image, très simplifiée, de l’organisation d’un ver de terre. Ajoutez quelques soies, pas trop, car les lombrics sont des vers oligochètes, c’est à dire médiocrement pourvus de soies par opposition aux polychètes, qui en ont beaucoup, comme certains vers marins. Ces soies auxquelles sont attachés des muscles, permettent aux lombrics de s’accrocher à la surface sur laquelle ils rampent et de circuler dans les galeries.
Les vers de terre n’ont pas d’organes respiratoires distincts. Les échanges gazeux se font au niveau des téguments qui sont constamment maintenus humides. Le système circulatoire comprend un gros vaisseau dorsal contractile où le sang est propulsé vers l’avant. Cinq à sept paires de cœurs latéraux reprennent le sang et l’envoient vers l’arrière dans un vaisseau ventral. Le tube digestif est assez élaboré et comprend une bouche, un pharynx qui peut servir de ventouse pour tirer les aliments dans les galeries et de broyeur pour les triturer. Les aliments passent ensuite dans le jabot, reçoivent un apport de carbonate de calcium des glandes de Morren, passent dans le gésier qui continue le broyage et atteignent enfin l’intestin.


Chaque ver est à la fois mâle et femelle. L’accouplement est cependant nécessaire pour assurer la fécondation mutuelle, y compris dans le cas assez fréquent où les organes mâles sont absents ou non fonctionnels et où la reproduction s’opère par parthénogenèse. Les cocons contiennent un nombre d’œufs assez réduit, parfois un seul. Au niveau mondial environ 3 000 espèces, réparties dans 15 familles, ont été décrites. Les grandes glaciations du quaternaire ont provoqué l’extinction des vers de terre. On n’observe qu’une trentaine d’espèces dans le nord de l’Europe et environ une centaine au sud. Les régions tropicales sont beaucoup plus riches. Chez les différentes espèces la taille varie de quelques centimètres à plus d’un mètre. Une espèce d’Amérique du sud atteint même trois mètres de longueur.
En fonction de leur mode de vie les vers de terre se répartissent en trois grandes catégories : épigés, anéciques et endogés.
Les vers de terre épigés :
Ils vivent à la surface du sol, au niveau de la litière et dans les matières organiques en décomposition. On les trouvera également dans les excréments des grands herbivores ou dans le bois humide en cours de décomposition. Peu protégés ils subissent une forte prédation qu’ils compensent par une fertilité élevée 42 à 106 cocons par adulte et par an. Quand la nourriture est abondante et les conditions climatiques favorables, ils peuvent se multiplier très rapidement. Leurs cocons, qui résistent à la sécheresse, assurent la survie de l’espèce. Les vers de terre épigés jouent un rôle important dans le recyclage de la matière organique. On les utilise parfois de façon industrielle pour produire du « lombricompost » et pour traiter les ordures ménagères. Certaines espèces sont élevées pour servir d’appâts pour la pêche.
Les vers de terre endogés
Ils représentent 20 à 50 % de la biomasse des terres fertiles et vivent en permanence dans le sol où ils creusent des galeries horizontales. Ils ne sont pas pigmentés. Ils ont une fécondité moyenne 8 à 27 cocons par adulte et par an. Ils se nourrissent de terre plus ou moins riche en matière organique. En période de sécheresse ils tombent en léthargie et on les trouve enroulés sur eux-mêmes. Les vers endogés présentent des modes de vie assez différenciés. Certains sont filiformes et s’installent le long des racines, d’autres forment des pelotes dans les couches profondes du sol, à proximité des drains, et filtrent l’eau dont ils séparent les particules organiques. On en connaît aussi qui sont prédateurs d’autres vers de terre.
Les vers de terre anéciques
Ce sont eux que l’on trouve lorsqu’on retourne la terre du jardin. S’il n’y a pas de vers de terre dans votre jardin ce n’est pas bon signe…. Ils vivent dans des galeries verticales et viennent « faire leurs provisions » à la surface du sol tout en restant prudemment accrochés par la queue à l’entrée de leur terrier. Les feuilles et les débris organiques qu’ils peuvent entraîner dans leurs galeries sont ingurgités avec de la terre. Les excréments sont déposés à la surface du sol sous forme de tortillons appelés aussi turricules. Des trois groupes ce sont eux qui ont la fécondité la plus réduite 3 à 13 cocons par adulte et par an. En Europe tempérée les vers anéciques représentent 80 % de la masse totale des lombrics. En période estivale ils tombent en léthargie. Le plus grand vers anécique de la faune française dépasse 1 mètre de long.
Dans les régions tempérées, un hectare de prairie contient de 1 à 3 tonnes de vers de terre qui creusent de 4 000 à 5 000 km de galeries. Le volume de terre ingéré est considérable : 250 tonnes par an et par tonne de vers anéciques. La matière organique, par exemple les feuilles mortes, est triturée, décomposée, avec l’aide de la flore microbienne et recyclée en éléments minéraux assimilables par les plantes. Parfois les vers laissent les feuilles se décomposer partiellement dans les galeries, surtout quand elles sont dures, comme les feuilles de chênes verts. Les aiguilles des résineux sont tout à fait indigestes et les vers anéciques disparaissent de ces plantations. Parfois la décomposition nécessite plusieurs cycles, plusieurs passages dans le ver de terre qui ingère à nouveau ses excréments après qu’ils aient subi un certain temps de fermentation.
Dans les terres agricoles, les vers de terre participent avec les micro-organismes du sol à un recyclage qui porte sur une masse équivalente ou supérieure à celle qui est récoltée. Cette action déjà très importante, devient irremplaçable quand il s’agit de milieux inaccessibles à la charrue, comme les forêts, les maquis, les garrigues.

Belon ! La Vraie !

 
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parents à Quimper

 
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mercredi 24 novembre 2010

au Sénat le lundi 22/11/2010


Nous avons été reçus par le sénateur maire de Plénée-Jugon, Gérard Le Cam. 17 membres de la promotion Z de 1969/1970, instituteurs et institutrices de St Brieuc, ont pu apprécié les retrouvailles, la visite du Sénat organisée par FANNY et Gérard - suivie d'un pot au bar du Sénat et d'un repas au restaurant LA GRILLE ! Emotions, amitiés, photos, tout un microcosme de bonheur.

A TRIESTE en septembre 2010

 
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mardi 2 novembre 2010

Alliance française de TRIESTE 3/9/2010

MARDI 2 NOVEMBRE 2010

Alliance Française de TRIESTE 03/09/2010
Thursday, Septembre 2 septembre 2010 18:00 90 Vues
YANN ETE
L'Alliance Française de Trieste
organiser une rencontre avec l'écrivain breton

YANN ETE: de nouvelles façons de police

Friday, Septembre 3, 2010 18:30
Bath Ausonia - Riva Traiana 1

Yann Venner est un écrivain de polars intrigants et poète raffiné. Né à Saint-Brieuc en 1953, vit en Grande-Bretagne et la Bourgogne. Il a publié cinq romans: après une tétralogie, mis en Grande-Bretagne, qui mêle humour noir et, publié cruel Cocktail, un «éco-polaire", dans lequel l'accompagnement de la el'humour suspense habituel à la raison écologique. L'œuvre entière de Venner est caractérisé par une utilisation rationnelle de la langue française, avec l'utilisation d'expressions idiomatiques, jeux de mots et toutes sortes de jeux linguistiques.
Le projet sera consacrée à la relation entre Trieste et de l'ironie et la nouvelle fonction polaire que le genre policier a acquis ces dernières années pour décrire la zone locale, il relatives à la socio-économique majeur de la mondialisation, constituant ainsi un temps l'analyse et la critique plus que juste une imagerie de vol.
L'écrivain Anna Zoppellaro interview, professeur de littérature française à l'Université de Trieste et de vice-président de l'Alliance Française de Trieste.
PUBLI PAR YANN VENNER À L'ADRESSE 13:30
LIBELLÉS: INTERVIEW
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YANN ETE
TRÉBEURDEN, 22, FRANCE
Breton du bord de mer, j'aime la nature, les chevaux, le vent, la vie. L'Imagine Me passionné à Travers Temps et Lieux.
AFFICHER PROFIL COMPLET LUN.


MEMBRES

Alliance française de TRIESTE 3/9/2010

giovedì 02 set tembre 2010 18:00 90 Visualizzazioni
YANN VENNER
L'Alliance Française di Trieste
organizza un incontro con lo scrittore bretone

YANN VENNER: le nuove vie del poliziesco

venerdì 3 settembre 2010 ore 18.30
Bagno Ausonia - Riva Traiana, 1

Yann Venner è scrittore di polars intriganti e raffinato poeta. Nato a Saint-Brieuc nel 1953, vive tra Bretagna e Borgogna. Ha pubblicato cinque romanzi polizieschi: dopo una tetralogia ambientata in Bretagna, in cui mescola humour e noir, ha pubblicato Cocktail cruel, un “eco-polar” in cui la suspense e l’humour abituali si accompagnano al motivo ecologico. Tutta l’opera di Venner è caratterizzata da un utilizzo sapiente della lingua francese, con ricorso a modi di dire, calembours ed ogni tipo di gioco linguistico.
L’intervento triestino sarà dedicato al rapporto tra ironia e polar e alla nuova funzione che il genere poliziesco ha acquisito negli ultimi anni: quella di descrivere il territorio locale mettendolo in rapporto con le grandi questioni socio-economiche del mondo globalizzato, costituendo così un momento di analisi e critica più che una semplice fuga nell’immaginario.
Lo scrittore converserà con Anna Zoppellari, docente di Letteratura francese presso l'Università di Trieste e vice-presidente dell'Alliance française di Trieste.

Alger, mon beau navire

ALGER, mon beau navire.

Face aux grandes philosophies, il semble que l’on puisse mettre en avant toutes les déclinaisons de la douleur. Ce mot, grave, donc très lourd à assumer, inscrit au coeur de l’humain une blessure inacceptable. Et pourtant, “il faut vivre“, obéir à cette impitoyable ordonnance injonctive, prônée comme un diktat depuis des milliers d’années. Il est vrai que ce n’est jamais la mort qui donne la vie, mais la mort ajoute à la vie et lui donne un supplément d’âme. Pourquoi ? Peut-être parce que les êtres vivants, outre le fait de perpétuer l’espèce, entretiennent une mémoire et une histoire, collectives et individuelles. Histoires et mémoires blessées, souvenirs lancinants, traumas insupportables et récits clivés, quand ils adviennent.
La douleur nous met tous à égalité. Qu’elle soit ressentie physiquement ou moralement, qu’elle nous poursuive et nous accule au suicide, elle permet à l’homme de mesurer le temps. Ce temps sensible est plus ou moins long, plus ou moins difficile à accepter ou à comprendre, selon nos propres forces et nos singulières faiblesses.
Nous avons donc la douleur en partage. Et alors ? N’aurions-nous que de l’empathie ? L’écrivain Louis Guilloux dit un jour à son ami Albert Camus : “ La seule clef, c’est la douleur. C’est par elle que le plus affreux des criminels garde un rapport avec l’humain.”
L’écrivain se charge alors de dénoncer, de raconter la misère de tous les jours, la pauvreté, qui empêchent même de garder une petite place pour l’amour - devenu alors presque un luxe - pour mieux éclairer la douleur du monde.
En cela, Louis Guilloux est un romancier qui sait que la misère peut ôter toutes forces aux passions et détruire le plus courageux des hommes.
Dire que ce lot commun, ce fardeau de fatalité, nous est à tous attribué serait faux. C’est pourquoi il est bon de se débarrasser de cette chape de plomb qui peut alourdir une littérature misérabiliste, où le personnage n’est qu’instrumentalisé par la douleur.
Parler de la douleur ne fait pas forcément de la bonne littérature.

Les écrivains maghrébins, entre autres, ont saisi cette dimension de l’écriture romanesque en détournant l’objet douleur de son sens premier. Soit en le contournant, soit en retravaillant la langue française, soit en inoculant dans leur oeuvre des structures narratives nouvelles, en dynamitant la narration classique, en rompant avec le récit canonique européen. La narration se retrouve éclatée, spiralée, interrompue, bouleversée, chaotique ou fragmentée, pour mieux frapper le lecteur, le rendre inquiet et désorienté au point de le déstabiliser, de le mettre dans une position de doute permanent et d’inconfort.
Cette aventure d’une écriture est bien plus audacieuse et porteuse de sens qu’une écriture d’une aventure, où le lecteur est guidé sagement vers une fin attendue et logique. L’éclatement du récit, la violence du texte, la polyphonie contestatrice installée dans la grande et la petite histoire, amènent le lecteur à réfléchir aussi à la douleur de l’écrivain et de ses personnages. Le partage des émotions, de la souffrance, est à ce prix.

Lire, c’est payer un tribut à la douleur. C’est participer, le temps de la lecture à un arrachement, à une confrontation où le lecteur devient acteur du récit qu’il entreprend, non pas à son rythme, mais à celui imposé par l’écrivain. Voilà le sens d’un combat, voilà le sens d’une écriture violente et combattante.
La ville, les capitales du Maghreb, sont souvent les porte-parole, les métaphores de cette douleur. Les habitants y sont prisonniers, détruits, blessés dans leur amour propre et dans leur chair. La ville souffre, sa misère exsude, la terreur règne, l’eau manque, l’air y est irrespirable. A chaque coin de rue, s’étalent la souffrance, la peur de vivre et l’angoisse du lendemain. Après avoir été colonisée, débaptisée, éventrée, saccagée, la ville est livrée à ses tortionnaires, civils et militaires. Guerre civile, contre soi-même, ouverte ou larvée, la guerre des nerfs fait souffrir tous les habitants. Chacun est prisonnier avec ou sans combat.
Et que dire des grandes douleurs qui resteraient muettes ? Même si l’écriture semble un combat perdu d’avance, il n’en reste pas moins vrai qu’écrire sur la douleur, la faire parler ou la mettre en scène et en mots, relève d’un art singulièrement difficile : soit l’on tombe dans un hyperréalisme grandiloquent, soit l’on utilise le langage de façons particulières. Une scène de souffrance, par exemple, ne sera pas directement décrite, mais simplement suggérée par une confrontation entre deux éléments, l’air luttant contre l’eau, une tempête en mer semblant mieux dire dans sa description la lutte inégale d’un bateau contre ces deux éléments. L’artifice paraît vain, vide de sens, mais si le navire en réchappe, l’écriture elle, aura aussi gagné une bataille : dire le monde autrement, dans un doute fécond et chargé de suspens.
La lecture s’en trouve enrichie, renforcée par le frisson et le plaisir, par une aspiration vers l’avant et l’aventure ( adventurus en latin, ce qui doit arriver ) , lecture inquiète qui se situe au-delà de la simple métaphore, elle-même portant le sens au-delà, par définition.
Comparer la ville Alger à un navire en perdition au pays des îles, ( Al Djazaïr, en arabe, ) montre à quel point le pays prend l’eau de toutes parts, flotte à la dérive sur des vagues de sang, démâte et perd son cap et sa tête, coule et sombre dans l’horreur des massacres. Actes de piraterie, de barbarie, quand chaque occupant du navire lutte pour une survie absurde et dérisoire, dans une capitale de la douleur où la douleur est capitale.
Il est des critiques qui accusent certains écrivains de rajouter au malheur et d’en faire une denrée littéraire et commerciale, comme si les écrivains maghrébins visés manquaient de sincérité. Que la douleur soit difficile à lire, à accepter, à partager, voilà bien le drame ! Certains préfèrent détourner leurs regards, se divertir, au sens pascalien du terme, avec une littérature insipide et sans surprise. L’effort de lecture est souvent contraignant. Il nous pousse à découvrir l’innommable, les non-dit, les tensions entre la phrase littéraire et les structures romanesques, un certain silence, ou une violence du texte qui font sens, un langage provocant et subtil qui ne dit pas la vérité attendue, mais une vérité subjective et polymorphe, contestatrice et empreinte de doute.
Attendre du roman une action pédagogique ou morale semble inutile.
Ecrire à partir d’un “déjà existant” pour produire “un nouvel existé”, suffit au travail des romanciers.
C’est la tâche et la quête temporelle de quelques auteurs algériens tels Malika Mokeddem, Assia Djebar, Tahar Djaout, (assassiné en 1993), Abdelkader Djemaï, Boualem Sansal, Mohamed Dib - récemment disparu - Rachid Boudjedra, Anouar Benmalek, Aïssa Khelladi, et tant d’autres qui souffrent, témoignent et vivent pour l’Algérie, cette terre d’écritures et de douleurs mêlées. La revue Algérie Littérature/Action publie aussi de nouveaux auteurs qui sont à la fois passeurs de mémoires et d’Histoires, témoins en quête de nouvelles formes d’écritures.

Le 27 juin 2003, Yann Venner.
Paru dans le revue Algérie/littérature Action numéro 69/70

photo de YV

 
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jeudi 21 octobre 2010

Raymond Cherreau, Beaune années 1960

Un inventeur beaunois


Le but de la vinification en rouge est d’obtenir par macération une extraction aussi complète que possible des substances contenues dans les peux des raisins : matières colorantes et tanins, et leur diffusion dans le moût.
Or, paradoxalement, les peaux des raisins, après leur mise en cuve, ont tendance à se soustraire en partie à la macération, parce qu'elles remontent en surface sous la poussée du gaz carbonique et demeurent flottantes, dès que la fermentation est déclarée.
Cette accumulation de peaux sur la partie supérieure du moût porte le nom de « chapeau ». De ce fait, l’intervention du vinificateur s'avère nécessaire pour remédier à cet état de chose.
Les anciens, qui le savaient bien, ont trouvé pour seul recours le foulage aux pieds, ou pigeage, permettant de disloquer quotidiennement la formation du chapeau et le noyer dans la masse du liquide. Outre que cette tâche souvent jugée folklorique par des observateurs ignorant la réalité du travail du vigneron, était fastidieuse, elle présentait des dangers. Combien d'hommes sont morts asphyxiés après avoir percé de leurs pieds une poche de gaz carbonique dans une cuve!

Dès 1847, à Beaune, des constructeurs brevetés au service de la viticulture eurent l'idée de concevoir une machine capable d'effectuer le travail de plusieurs hommes nus en train de patauger dans la cuve durant plusieurs jours. Passionné par la technologie, Raymond Cherreau, inventeur beaunois descendant de cette famille de constructeurs, après des nuits de recherche, mit au point une technique ingénieuse aux alentours des années 1960: il remplissait la cuve normalement de vendange foulée égrappée et laissait la fermentation se déclencher sous l'effet des levures contenues dans les peaux de raisin. Puis, il plongeait un impulseur fabriqué par ses soins, dans la cuve et le mettait en marche une seule fois. Ensuite, le vigneron procédait à une chaptalisation aussi raisonnable que possible. A la fin de la fermentation, il faisait écouler le vin de la cuve. Le marc restait sur lattis et il était acheminé vers le pressoir, de préférence par un élévateur à godets spécialement conçu dans ce but. Ce marc était serré une seule fois, très lentement, par le pressoir, et le jus de presse était aussitôt mélangé avec le jus de la goutte.

Les lies, composées de bourbes de jus non fermentées et de résidus de fermentation étaient ensuite distillées séparément en eau de vie de vin (fine) :

Le jus de goutte, filtré à travers le marc à son écoulement, se clarifiait un mois plus tôt que s'il avait suivi le cours normal de la vinification, et était plus coloré.
La richesse en tanin du vin et l’intensité colorante se traduisaient par un enrichissement supérieur de trente à cinquante pour cent à celui d'une vendange-témoin traitée selon le processus de vinification habituel.
Cette nouvelle méthode de foulage par impulseur spécial rencontra un vif succès.
Monsieur Cherreau inventa aussi des échangeurs de température, des égrappoirs-fouloirs-pompes, fabriqua des cuves pour la vinification et le stockage, des pressoirs. Mais une autre invention, en 1975, allait faire sa renommée dans tout le pays: un égrappoir-fouloir-pompe supprimant le pourri-sec à quatre vingts pour cent.
Cette machine éraflait la vendange avant de la fouler, ce qui représentait un progrès par rapport au fouloir-égrappoir que les vignerons utilisaient jusqu'alors: l'invention de Raymond Cherreau pratiquait l’opération inverse. Mais si cette machine donnait de bons résultats avec la vendange blanche, elle posait deux problèmes pour la vendange rouge: en raison de l'écartement trop faible des cylindres, l’éraflage se faisait souvent trop rapidement et le foulage était trop fort. Quand la vendange était saine, l’éraflage se passait dans des conditions satisfaisantes, mais comme au moins une année sur deux, les raisins étaient atteints par la pourriture, il fallut remédier à ce handicap. Le foulage serré, extrayant le maximum de jus, restait contraire au désir de réduire la vitesse de fermentation, et partant, de limiter le risque d’élévation de la température du moût en cuve.
Raymond Cherreau, en réduisant la vitesse de rotation de l’égrappoir et en réglant cette vitesse en fonction de l’état et aussi de la nature de la vendange, put limiter, sinon éviter l'apport de raisins altérés. Malgré la vigilance du vigneron, les vendangeurs négligent trop souvent d'éliminer la partie malade du raisin. Or le pourri sec constitue un danger lors de la cuvaison en raison des goûts anormaux et indélébiles qu’il communique aux vins rouges. Longtemps, les vignerons ne surent pas comment veiller à ne mettre en cuve qu'une vendange saine: l'égrappoir-fouloir de Raymond Cherreau arriva à point nommé. Par le moyen mécanique mis au point par l'inventeur beaunois, le raisin pourri sec ainsi qu'une partie des pellicules du raisin pourri frais étaient automatiquement éliminés du fait qu'ils restaient attachés à la rafle rejetée par l’égrappoir.

Nombre de vignerons de la Côte de Nuits et de la Côte de Beaune firent appel à ses services. Dans le Bordelais, on acheta aussi cette merveilleuse machine.

Certes, aujourd'hui, ce problème ne se pose plus dans les mêmes termes car les vignerons affectent plusieurs personnes au tri des raisins sur des tables spécialement destinées à l'élimination impitoyables de toutes les grains pourris, secs et humides, avant d'égrapper et de fouler.



Mais une autre nuit, la main de cet homme dessina et créa encore une nouvelle machine. Non pas au service de la vigne, mais de la pierre cette fois-ci. Son esprit d’inventeur le poussa à imaginer et réaliser une machine automatique pour le sciage et un super polissoir pour les pierres - en particulier le marbre et le granit. Il avait été le premier à créer les machines à scier la pierre, avec un fil hélicoïdal. Une innovation technologique reconnue jusqu’à Carrare en Italie, qui lui permit lors de congrès internationaux sur la pierre, de présenter son invention. Les carrières de Comblanchien et Corgoloin à quelques kilomètres de Beaune l'avaient inspiré et lui avaient permis de venir expérimenter les plans et les ébauches des machines polissoir et scies à fil.

Il fit breveter ses inventions dans toute l'Europe, et traduire ses documents techniques. Ainsi il gagna quelques prix, dont un au célèbre Salon International des Inventeurs à Bruxelles en 1962 : médaille d’argent pour sa machine à surfacer les pierres.

Les professionnels de Bourgogne utilisèrent son matériel et, jusqu’en Bretagne, dans les carrières de granit, on se servit de ces machines à scier et à polir la pierre.
Ce qui incita Monsieur Cherreau, au cours de ses nombreux voyages en automobile, à prendre quelques jours de vacances estivales dans les Côtes du Nord, car le département s’appelait ainsi, avant de devenir les Côtes d’Armor en 1990. Il emmena donc régulièrement sa femme et ses deux enfants à Saint-Cast Le Guildo ainsi qu’à Perros-Guirec, où il rencontra nombre de propriétaires de carrières.

A Ploumanac’h, sur la commune de Perros-Guirec, il devint ami de Monsieur Yves Gad, carrier, à qui il confia dans les années 1955 son matériel pour travailler dans la carrière de La Clarté ; il tissa ainsi de solides liens d’amitié avec la famille Gad. Ce fut aussi l’occasion de découvrir d’autres spécialistes de la pierre entre autres à l’Ile Grande, lieu plein de charme et lieu magique qu’il affectionnait particulièrement.

Grâce à cet homme de foi, de courage et de conviction, des centaines de vignerons et de carriers virent leur travail simplifié et amélioré. Nombre d’œnologues, d’amateurs de vins et de propriétaires de grands crus trempaient désormais leurs lèvres dans des vins plus sains, mieux élevés et plus concentrés. Bien sûr, il y eut d’autres progrès, d’autres machines, mais cette lignée de constructeurs brevetés au service des viticulteurs depuis 1847 s’achevait. Monsieur Cherreau en avait été l’un des meilleurs, et le dernier maillon.

nouvelle bretonne

UN DRAME AU VILLAGE



À toi F.K., décédé en 1924, écrivain qui sut bondir hors du rang des assassins. Que tu sois ici reconnu, en terre bretonne, comme un frère d’encre.




Vers les années mille neuf cent vingt-quatre, sur la commune de Trégrom, là où l’on entend dire quelquefois que le diable habite – mais la rime est meilleure en breton – vivait un très brave homme du nom de Séraphin Meudec.
Plutôt bon vivant que mauvais coucheur, Séraphin – dit Le Rouquin – était du genre costaud. Dur au mal et toujours chaussé de ses formidables sabots, il arpentait la commune, du matin à la méridienne, s’ébrouant sous sa longue crinière frisée quand il pleuvait et hennissant comme un postier breton. L’individu était facteur. Dans les cent vingt kilos. Catégorie poids lourd.
Mais, léger dans sa course, alerte dans son pas, l’étalon du bourg et coureur du faubourg, sillonnait gaillardement les chemins de traverse, livrant ici un pli, là une lettre, un journal. Avalant là un verre de cidre, ici un calva, chez l’un un café noir, chez l’autre, savourant un morceau de josken, il allait donc au trot de ses vaillants sabots.
Rien ne semblait ébranler cette force naturelle, ni la peur, ni la maladie.
Séraphin rendait visite et service aux malades, aux alités, imposant sa large carrure sur le pas de la porte. Les grabataires et impotents du village l’attendaient avec impatience car Séraphin possédait l’herbe d’or. Il tenait ce don de son père qui, lui-même, l’avait reçu de son...

Ce jour-là, l’Hyppolite était cloué au lit. Fièvre de cheval, les quatre fers en l’air. Le pauvre retraité n’essayait même plus de ruer dans son lit-clos, lui, si ombrageux d’habitude.
- Toi mon bonhomme, dit Séraphin en entrant, tu ne liras pas ton journal aujourd’hui. Tu n’es guère en état ! Pour te consoler, sache que tu es le troisième que je vois aujourd’hui, à me jouer ce vilain tour. À croire que vous vous êtes donné le mot !
Certain de son diagnostic, Séraphin sortit alors de la sacoche de l’administration un sac en papier brun au contenu étrange. Des herbes sèches, mêlées à d’autres salades, comme aimait à se moquer le docteur Le Du, un concurrent jaloux. Le facteur versa alors une pincée de cette herbe d’or dans un grand verre d’eau tirée du puits, et, la tisane ayant infusé après avoir chauffé sur le fourneau, il fit boire à son patient l’amer breuvage. Une décharge soudaine électrifia le corps du malade, qui tremblant ensuite de la tête aux pieds, se mit à suer et à cracher à l’envi.
S’adressant alors à la maîtresse de maison, Séraphin dit :
- Une heure après que j’aurai quitté cette maison, quand la grande aiguille aura fait son petit tour, tords ses draps sur le pré, lave-les ce soir dans le Léguer, juste avant la nuit, et laisse ainsi aux poissons du diable la part maudite. Ainsi soit fait ! Buvons un coup !

Le lendemain, la fièvre était partie rejoindre l’océan. Voilà nos trois gaillards debout.
Séraphin guérissait d’autres maux, comme la culotte de cheval, le mal de dos, le croup, la neurasthénie et l’aérophagie. Le don reçu par Séraphin, passait, de père en fils, comme une lettre à la poste.

Mais Séraphin aux gros pouces, ce qui lui donnait par complémentarité un nez assez énorme mais bien placé au milieu de la figure, avait un fils, Michel, plus paresseux qu’un pou, maigre comme une puce. Un air teigneux et malsain de cafard pris en faute, complétait le portrait entomologique de ce triste petit insecte.
Veuf et inconsolé, le facteur gardait bon moral malgré cette écharde douloureuse, héritée du hasard.
- Il va changer, se disait-il, il va bien grandir un jour, ouvrir ses ailes et devenir aussi beau qu’un paon du jour.

Mais Michel allait sur ses dix-huit ans et son aspect malingre ne s’améliorait guère. La maman était morte en couches, un matin que Séraphin arpentait, de ses formidables sabots, la commune et ses alentours. De toute façon, ses dons de guérisseur auraient été incapables de ramener sa femme dans le monde des vivants.
Le petit Michel était-il donc le fruit véreux du péché ?
Cette absurde question taraudait Séraphin. Quoiqu’athée et libertaire, il aurait bien voulu connaître le pourquoi mystique ou christique de cette énigme.

Un matin, le corps de Michel se rétracta un peu plus. Quand Séraphin Meudec entra dans la chambre du fils, il vit sur le sol un corps racorni, à la voix éraillée, qui articula faiblement.
- Je m’appelle Grégoire, je m’appelle Grégoire ; et toi, qui es-tu, étranger ?
Si le diable habitait Trégrom, il était sûrement dans cette maison, sous l’aspect de cette chose racornie mais vivante. Michel, ou plutôt Grégoire, ne quitta pas la chambre. Son père, condamné au silence, ferma la porte à clé, lui laissant pour tout remède un verre empli de tisane d’herbe d’or.
Quand Séraphin revint de sa tournée, en début d’après-midi, la chose était toujours là rampante et balbutiante. Le verre de tisane, intact.
- Je m’appelle Grégoire et j’ai tué saint Michel. Je m’appelle Grégoire et j’annonce la guerre, la guerre un fouet sifflant qui hurle ses injures, la guerre, un fouet sifflant qui hurle ses injures.
De plus en plus mal à l’aise, ne sachant quelle attitude adopter, le père s’adressa à son fils :
- Que puis-je faire pour toi ? Qu’est-ce qui te ferait plaisir, fils ?
- Toi, tu m’appelles fils ! Tu oses m’appeler fils ! Sache que tu es un étranger et que ma mère a couché avec le diable, le grand saumon de la rivière maudite ! Fils du diable je suis ! J’annonce la colère, la revanche du monde, et que s’abattent les grands vents jaunis de pisse froide, que les fleuves débordent, vomissent leurs poissons, que les brumes acides recouvrent les forêts, que les bêtes tapies à l’orée des clairières portent la rage au cœur des hommes ! Honte sur toi, petit sorcier minable, qui a voulu défier la loi de mon grand maître ! Honte et misère sur toi, humaniste vulgaire !

Grégoire bondit, d’un saut énorme, sur la cuisse du guérisseur et le mordit de toute sa violence. Séraphin n’eut que le temps d’arracher l’horrible bête qui laissa, fichés dans la chair de sa cuisse, deux aiguillons de corne noire.
La bête, projetée sur le dos, avait encore diminué de moitié. Ses borborygmes incompréhensibles, s’arrêtèrent net quand le facteur broya, de ses formidables sabots, la chose répugnante.
Séraphin ne sentait plus sa jambe. Un poison inoculait sa chair. Il boita jusqu’à la cuisine, prit un couteau et, pantalon baissé, creusa la blessure. Deux plaies noirâtres le brûlaient comme du feu. Il replongea son Laguiole à la recherche des aiguillons. Trop tard ! Ils avaient fondu dans la chair. Séraphin versa sur le désastre la bouteille de lambig, dont la fonction première était loin de servir à cet usage. Il hurla. Ses nerfs le lâchaient.
Comment raconter ce qui venait de se passer à quelqu’un ? Qui le croirait ? Et son fils ? Comment annoncer cette métamorphose et sa disparition ? Il allait devenir, lui, Séraphin le guérisseur, un assassin, un meurtrier. Comment ? Comment ?

La cuisse enveloppée d’un torchon à vaisselle noué solidement, il s’écroula sur son lit. Tout son gros corps s’engourdissait. Une fièvre tenace l’envoya dans un autre monde.
Il se mit à pleuvoir avec violence. Trois semaines sans interruption. Des brumes tenaces recouvraient toute la contrée. Quelques fermes furent inondées, dont la maison de Séraphin, nichée dans un petit vallon. Les eaux du Léguer débordèrent sans discontinuer.

Un pêcheur, dit Le Braco, retrouva un corps humain, coincé dans le bief du moulin, en contrebas de la maison du facteur guérisseur. De la bouche du noyé, on retira une sorte d’énorme insecte qui dépassait des lèvres du cadavre, bleuies par le poison. Comme si un énorme saumon avait voulu gober, dans un élan ultime, une proie si tentante.
On fit des recherches plus poussées.

Le corps du petit Michel ne fut jamais retrouvé.




Yann Venner

à Venise

 
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samedi 31 juillet 2010

Je ne songeais pas à Rose

Gaston Miron - Notre Poésie 1970

Michèle Lalonde - Speak White - Notre Poésie 1970

suite de mon roman "Cocktail cruel" encore

DEUXIEME PARTIE
LE REVEIL
CHAPITRE UN
Brèves de comptoir
Dans le petit village de Jobigny La Ronce, non loin de Beaune, on s’active. Les Jobironciens, eux aussi ont été envahis par les coccinelles asiatiques et nombre de vignerons ont vu leur vin vendangé à la machine interdit d’AOC. Vexation ultime pour ce village bourguignon, après l’épisode tragique de la soirée cinéma² qui leur avait valu de porter le surnom de « Jobards du vin » - contre-étiquette difficile à porter.
Le goût âcre et piquant du jus de coccinelle asiatique écrasée ne passait pas. L’acrimonie des Jobironciens s’exacerbait. Seuls quelques vignerons, qui avaient vendangé à la main, effectué un tri sélectif sur le tapis roulant et évincé des milliers d’insectes, échappèrent à l’infamie du déclassement, mais ces heures passées à éliminer les coccinelles eurent pour conséquence de faire monter – à tort ou à raison - le prix de la bouteille. S’ensuivit une guerre picrocholine d’allure gauloise et aux accents bourguignons. Des coups s’échangèrent. Des bouteilles disparurent. Les mauvaises langues des environs s’emparèrent de la misère du village.
Les Jobironciens sont des jaunes. Ils collaborent avec la Chine !
Leurs nouveaux nés naissent avec des yeux bridés. La Bourgogne est trahie. On nous infiltre !
Alain Peyferrite avait raison ! Quand la Chine s’éveillera, ce sera la fin des haricots...
Et autres balivernes qui saoulèrent les esprits.
D’autres écrivirent. « Envoyons une délégation en Chine ! Cela ne peut plus durer. Vendons-leur notre vin coccinellisé, et qu’ils s’empoisonnent avec ! » Les conversations aux comptoirs étaient loin du répertoire « Nuit de Chine, nuit câline, nuit d’amour. » Des expressions fleuries, bouquets aussitôt fanés que prononcés, sortaient des langues venimeuses.
Les Jobironciens nous font de l’Appellation d’Origine Chinoise.
Jobards, Jobinards, combinards, collabos !
Vin rouge et péril jaune ! Qui avait osé parler de « Cocktail cruel » l’an dernier ? »
Silence dans la salle ; on se gratte le front, on cherche, on suppute, on hésite… Néant. Passe un ange au sourire blême.
Avec le réchauffement climatique en plus, pas question de jouer au mikado et au nain jaune.
Avec les bridés, on a la bride sur le cou. Maudits pékins !
On va leur rendre un chien de leur chienne à ces Chinois !
Remets-nous un pt’it Haut’-Côtes, Gilles ! Faut pas s’laisser aller ! Leur Exposition universelle de Shanghai, on va y foutre la pagaïe !
Et Jobigny souffrit d’être tombé si bas. Le prêtre dans son homélie dominicale et dans un élan poétique allant même à dire.
Coccinelles asiatiques, tombées des cieux. Petites bombes cruelles, ne prions pas pour elles !
















CHAPITRE DEUX
Projets lointains
A la mi-juin, les quatre candidats pour Shanghai avaient enfin, après de longs débats, décidé de s’y rendre. Antoine avait étudié de près – à l’aide de nombreux documents techniques – le vignoble chinois, et envoyé en éclaireur son cousin sur place, qui revint avec un dossier fort complet sur les vins, les mœurs et coutumes du pays. On était réuni à L’Île-Grande dans la maison des Le Gonidec, carriers de père en fils.
- Retenez bien, tous les quatre, ce que j’ai appris de ce court voyage d’une dizaine de jours ! Tout d’abord, j’ai bien négocié l’installation d’une partie de notre stand de la gastronomie bourguignonne. Les Chinois m’ont appris et forcé à faire « gan bei » plus que je ne l’aurais voulu, mais pas question de refuser de « trinquer, de « faire cul sec. ». Et pas qu’avec du vin, croyez-moi. Leur alcool de riz, bonjour ! Heureusement, j’en recrachai discrètement dans ma serviette de table comme ma belle interprète m’avait conseillé de le faire. Une fois les affaires lancées, l’entretien de la relation occupe une place prépondérante en Chine. Il m’a fallu de la patience, respecter leur hiérarchie en traitant différemment chacun selon la hauteur de son rang, et surtout ne jamais faire perdre la face à un Chinois. Plus que du simple orgueil, c’est une notion sociale pour eux. Ne jamais les contredire sèchement, même s’ils ont tort, toujours tergiverser, dire comme eux « mei wenti » et « keneng », « pas de problème, et peut-être. »
- Et bien Roland, malgré ton caractère docile, tu as en fournir des efforts, dit Jacinthe.
- Oh que oui ! « Quand on sort de chez soi, on s’enquiert de la route » m’avait prévenu mon interprète et « quand on rentre dans une contrée, on s’enquiert des coutumes. »
- Tu as dû avoir des aventures galantes, lança Erwan, le jeune tailleur de pierre et frère d’Isabella. L’idée d’aller découvrir le granit chinois, idée de son père pour l’éloigner du chagrin, n’avait pas encore pris corps dans son esprit. Erwan pensait plutôt à l’appel de la chair.
- Avec les Shanghaiens, on gagne toujours à taire ce qu’on n’est pas obligé de dire, Erwan. Tu apprendras que toute noblesse vient de l’humilité et de la discrétion comme disait Lao Tseu. Surtout pas d’humour graveleux à la française avec les Chinois. Tu peux prévoir en cadeau des bouteilles de Cognac et du parfum pour ces dames, mais attention, toujours respecter la hiérarchie. Grands cadeaux aux chefs, petits cadeaux aux subalternes. Si tu fais perdre la face à un Chinois, ton granit breton, rose ou pas, et la moindre affaire commerciale, iront droit au fond de l’eau.
- Ils se soucient donc énormément de ce que pensent les autres, si je comprends bien Roland, ajouta Philippine.
- Exactement, et pour conclure, car « parler ne fait pas cuire le riz » comme on dit là-bas, sachez qu’ils adorent le chiffre huit, et des petits cadeaux porte-bonheur. Soyez surtout respectueux et dites vous bien chaque jour que vous n’êtes que de simples invités.
- Bravo et merci Roland pour tous ces conseils. Deux hommes et deux femmes avertis en vaudront donc « huit ». Magique, n’est-ce pas, ajouta Antoine ?
- Je vous souhaite donc tout le bonheur. Moi, je vais gérer le domaine avec Louis Franck en votre absence et envoyer dès demain nos vins du Château de La Clairgerie à Shanghai. Leur exposition universelle commencée le dix mai se terminera début octobre, et d’ici votre retour, au moindre problème, contactez-moi par email. De toute façon, vous aurez sur place mon interprète que j’ai déjà retenue pour vous. Elle s’appelle Dao Baï.
- Retenue et réservée, ne put s’empêcher de conclure Erwan, dans un sourire moqueur.
- Tu voudrais me faire perdre la face, et en public de plus ! Attention Erwan, rien de plus dangereux…
- Pourquoi ?
- Voilà un mot à ne pas poser en général. Ne dis jamais « pourquoi ». On te répondra de façon sibylline.
- Bon, dit Jacinthe, passons à table et goûtons nos nouvelles spécialités aux algues ! Pâtes à la purée de dulse et sabayon sucré salé au wakamé.
- Heureusement que papa et Alan sont au match à Guingamp ! Ils en ont un peu marre de manger vos chinoiseries... Et moi aussi !
- Cesse tes critiques, mon fils, dit Philippine Le Gonidec, et va plutôt déboucher la bouteille de Meursault 2005 d'Antoine. Elle est au frigo.
Légèrement, vexé, Erwan baissa la tête et obéit à sa mère. Il rêva cette nuit là d’une douce shanghaienne à la silhouette sculpturale, nimbée d’un vol de coccinelles.








































CHAPITRE TROIS

Balade champêtre

Depuis quelques années, Antoine avait encouragé la biodiversité en faisant pousser d'autres plantes dans, et autour des vignes. Cela permettait de préserver l'état du sol en attirant une flore et une faune bénéfiques au vignoble : insectes divers, araignées, mites. Ces plantes fournissaient une nourriture sous forme de pollen et nectar, donnaient abri aux insectes bienfaiteurs, ce qui lui permettait de réduire quasiment pesticides et insecticides. Le problème était l'équilibre à trouver. Il fallait d’abord faucher régulièrement les parcelles enherbées et laisser l'herbe pourrir sur place pour que l'herbe ainsi devienne engrais naturel, et ensuite toujours estimer les risques en respectant l'environnement. Antoine ne cessait de penser à ces actions, malgré ses doutes et sa douleur intime.

Heureusement, son maître de chais savait faire le tri entre le vital, l'essentiel et le superflu. Il avait même fait planter des tulipes sauvages qui avaient quasiment disparu. Les bulbes ramassés dans une autre région avaient été judicieusement placés et l'on pouvait voir éclore aujourd'hui la partie aérienne. Des insectes bourdonnants tournaient autour des jeunes tulipes sauvages, avides de nectar. Louis Franck eut un immense plaisir en voyant son idée transformée en acte aboutir. Ce n'était pas qu'une lubie, une manière de vouloir se distinguer des autres. Non, ces actes relevaient d'une réflexion aboutie, d'une conduite de vie.

Etre intelligent, c'est simple Antoine : inter-legere, « trier entre, choisir », l'étymologie nous le dit !
Oui, tu as raison Louis, la biodiversité est notre assurance-vie. Rien que la disparition de l'abeille va coûter des milliards d'euros à la communauté. Si l'homme et la machine vont devoir jouer le rôle pollinisateur de l'abeille, et remplacer ce formidable insecte qui disparaît chaque jour, c'est une marche arrière catastrophique !
Bien sûr ! On fait partie d'un tout, on ne peut pas faire cavalier seul et même si notre génie humain nous bluffe en permanence, le génie des insectes nous bluffe encore plus ! L'urgence et le fatalisme menacent. Mais attention ! A force de sacrifier l'essentiel à l'urgence, on finit par oublier l'urgence de l'essentiel !

Antoine, perdu dans de sombres pensées, avait toujours en ligne de mire l'image du tombeau d'Isabella autour duquel voletaient, en une danse hémisphérique, des coccinelles. Ainsi que quelques abeilles. Seule la danse aérienne d'une Isabella souterraine le fascinait, la danse d'Isabeilla.

Pour les Chinois, 2010, c'est l'année du tigre mais pour tous les pays c’est aussi l’année de la biodiversité. Je ne sais pas si leur tigre va les aider à se frayer un chemin dans cette jungle qu'est devenue la planète-hommes. Ce sera difficile d'accorder nos violons avec eux et avec les Américains, essaya de placer Franck, afin de faire sortir Antoine de son mutisme.

Le sens de l'humour du malheureux finit par prendre le dessus.

Entre tigre et dragon, rat ou buffle, coccinelle ou puceron, cochon, singe et compagnie, nous allons quand même bien dans la même direction : « A cheval sur le vin ! » Et que ça coure, que ça galope ! On doit trouver le moyen de réduire ces coccinelles chinoises...
Oui, d'accord, mais cette fois-ci pas en cocktail !
Si Philippine et Jacinthe nous entendaient. Elles pour qui plantes et bêtes sont sacrées... Il suffirait de repérer leurs lieux d'hibernation en hiver dans les maisons, partout... Lancer un appel au peuple et faire détruire par les pompiers et services sanitaires ces kilos d'agrégats asiatiques à six pattes !
Sacrément envahissantes tout de même ces coléoptères bouddhistes ! On ne va pas non plus leur élever un temple... Tu imagines « Le temple de la coccinelle asiatique » avec ses moines déguisés en coccinelle, leur bâton de pèlerin à la main et le crâne dégarni. Mieux que les dessins de Gotlib de notre adolescence !
Sacré Louis, heureusement que tu es là pour me remonter le moral. Mon cousin Roland est bien gentil, c'est un excellent commercial, mais il fait un peu vieille France. Dommage, cet homme mériterait de trouver une femme...
Pour lui rajeunir ses régions, sans doute... conclut Franck sans trop croire au bien fondé de son jeu de mots.

Et l'on continua de marcher dans la vigne, de visiter certaines places enherbées, d'autres où l'on avait posé quelques nichoirs, où plantés de petits bosquets afin que des nichées d'oiseaux au départ migrateurs se sédentarisent, s'ils le souhaitaient. Ces volatiles mangeurs de gros insectes avaient besoin de cavités qui manquaient quelquefois dans le paysage agricole. On observait, notait, comparait, prenait acte de chaque erreur. Un ornithologiste les avait accompagnés l'an dernier et à la suite de ses conseils, on vit apparaître quelques couples de rolliers. La vie, sous toutes ses formes se multipliait, mettant aussi en évidence les divisions humaines, les plus difficiles à combattre.

Antoine et Franck avec au cœur des pensées diverses, étaient tournés qui vers la Chine, qui vers le couchant, là où Antoine entendait Isabella lui murmurer le poème d'amour de Mireille Sorgue, qui jaillissait de terre.
Cet homme était un véritable romantique. Pour lui, la survivance de l'art par le désir et la transcendance de la poésie abolissaient la disparition de l'être aimé. C'était plus qu'un effet de réalité. Une certitude, qui lui faisait chanter l'âme.
Ils regagnèrent le château.















































CHAPITRE QUATRE

Première bataille

Durant ce temps, les coccinelles aphidiphages continuaient d'envahir le vignoble bourguignon et une nouvelle vague d'élytres déployées se posa une heure après la visite des deux hommes sur les quelques hectares du Château de La Clairgerie.
Ces demoiselles dévoreuses de pucerons voletaient au-dessus du tendre feuillage, puis s'installaient, cherchant nourriture sur leur nouveau territoire. Plusieurs femelles au corps lourd avaient hâte de se délester de leurs œufs.
Faisant fi du protocole de Kyoto entré en vigueur en février 2005, relatif à la protection de la planète et à l'équilibre des éco-systèmes, ces charmants coléoptères les plus nombreux en espèces parmi tous les insectes avaient installé leur campement, telle autrefois l'armée romaine, sur le vignoble d’Antoine. Quant à la conférence de Copenhague qui avait eu lieu en janvier 2010, elles semblaient n'en jamais avoir entendu parler.

Une concurrence rude s'ensuivit entre les oiseaux et les coccinelles. Privés de leur dose de pucerons habituels, ces premiers se mirent à piquer du bec les coléoptères qui lâchaient d'entre leurs pattes un liquide jaunâtre et nauséabond afin de repousser les oiseaux. Merles, rouges-queues, mésanges et fauvettes se servirent en abondance parmi les grappes de coccinelles aux corps bombés et aux couleurs variées.
Certains insectes se réfugièrent sous les jeunes feuilles de chardonnay ou de pinot noir. Des battements d'ailes suivis de petits cris de victoire se faisaient entendre parmi les ceps. Bons coureurs malgré leurs courtes pattes, certaines coccinelles se firent gober et disparurent de la surface de la terre avant même d'avoir eu le temps de fréquenter leurs congénères. La lutte pour la vie était engagée. Et survivre au milieu des oiseaux combattifs n'était pas chose aisée.

Des fourmis qui s'étaient agglutinées sous quelques feuilles de vigne subirent le même sort, dévorées crues, prisonnières d'une sorte de colle produite par les pucerons. Les fourmis protègent les pucerons : en consommant leur miellat, elles deviennent toxiques pour les coccinelles. Des quantités de larves furent aussi avalées, larves de coccinelle qui sont d'autant plus vulnérables qu'elles n'ont pas de carapace, et qu'elles ne peuvent pas quitter la plante en s'envolant.

Tout ce microcosme se livrait une véritable bataille dans le plus grand désordre – en apparence. Les becs déchiraient les élytres, fracassaient les pronotums, brisaient les petits boucliers bombés en menues pièces. Tels de minuscules ciseaux translucides et tourbillonnants, les ailes des coccinelles se retrouvaient avalées par de plus grands ciseaux, beaucoup plus durs, beaucoup plus forts.

Les instincts de mort n'opéraient pas en silence chez les oiseaux et tout le bruit de la vie semblait surgir d'un gosier géant. Même si certains oiseaux se refusaient d'avaler ces coléoptères asiates aux pattes souillées de matière jaune, ils n'en participaient pas moins au combat, solidaires de leurs frères d'armes. Un ballet de plumes, boules agitées en tous sens, animait le vignoble dans une frénésie mortifère.
Les lois de la prédation jouaient leur rôle. Rien de cruel à cela. Le monde animal était à mille lieux de la nature humaine. La vie exerçait ses droits, sans frein, sans morale ni dieu, en toute liberté.

Une fois entrés dans la bibliothèque du château, Antoine et Franck aperçurent Roland qui leur tournait le dos. Toujours et encore devant l'écran de son ordinateur, travailleur infatigable.

Salut Roland ! clama Antoine ! Alors ce problème de livraison pour Shanghai, c'est du Shanghai express ? J'espère qu'on ne sera pas de la revue !

Aucune réaction de la personne interpellée. Pas un mot, pas un geste. Franck crut à une blague volontaire de Roland. Le maître de chais huma l'air, comme pour y chercher un indice.

Monsieur le directeur commercial va-t-il bien ? proposa-t-il afin d'amadouer Roland, de le forcer à se retourner.

Jamais aucun mot n'était sorti de la bouche d'aucun mort. C'était une certitude. Roland était décédé, une grimace de douleur lui barrant le visage, comme s'il avait été contrarié dans sa dernière action.
L'écran de veille laissait défiler des bouteilles de vin par centaines...
Les deux hommes, plutôt en état de panique, n'osaient toucher leur compagnon. Aucune trace de violence, de lutte.

On décida d'appeler le SAMU ainsi que le commissariat de Beaune.

suite encore

CHAPITRE QUATRE

Etat d'alerte.

La pharmacienne du village voisin reçut la visite de plusieurs clients qui vinrent se plaindre de morsures d’insectes, « des coccinelles à ce qu’il paraît ! »
Rien de bien méchant, mais elle décida d’alerter les services vétérinaires du département. Et de rédiger – par déontologie - une note d’observation, comme c’est l’usage. D’autant plus qu’en se renseignant auprès de quelques collègues pharmaciens des environs, on en arrivait à la même conclusion. Le petit insecte réputé jusqu’alors pour son côté esthétique, utile comme prédateur des pucerons et charmeur par sa façon d’attirer les enfants, était devenu en quelques jours un ennemi. Sa prolifération devenait un problème qu’il fallait solutionner au plus vite.
Les maires, les services sanitaires et sociaux décidèrent avec l’appui du préfet de coordonner un plan d’éradication de ce prédateur asiatique qui avait largement prouvé en quelques mois sa nuisance. On réunit les services vétérinaires, les responsables des maladies à risque afin de trouver une solution commune, efficace et bien ciblée. Enrayer le mal par des méthodes douces si possibles sans avoir recours à une violence aveugle.
Défenseurs et ennemis de la coccinelle s’affrontèrent en de houleux et douloureux débats. Ce qui prouvait que l’action concertée avait des chances de déboucher sur un projet commun et raisonné, but normal d’un débat démocratique et qui avait lieu d’être.
La réunion publique avait été décidée par le maire et chacun avait pu apporter sa modeste contribution. D’autant plus que les Nations Unies avaient proclamé en 2010 une année internationale de la biodiversité afin d’alerter l’opinion publique sur la disparition des espèces.
C’est alors que les ennuis commencèrent à gangréner la région.

On ressortit les vieilles rancœurs, chacun avait à régler qui un problème de voisinage, qui un règlement privé au sein de familles séparées par de sombres histoires. L’occasion était trop belle de se réuni derrière le drapeau de la lutte contre les coccinelles et de les renvoyer ailleurs, dans leurs pays d’origine. En attendant, on en massacra des colonies entières, mettant même les enfants à contribution. On les tuait aussi en les laissant quelques heures au congélateur. C’était devenu un effort de guerre contre un ennemi acharné à piller les ressources naturelles du pays.


Antoine sentait que s’il luttait au côté de ses frères vignerons pour des valeurs concernant la région, le pays et la planète, la douleur d’avoir perdu Isabella s’en trouverait diminuée. Agir, « Age quod agis » agis comme tu dois le faire, telle la parole latine de son ancien professeur, noble parole qui allait empêcher Antoine de tomber dans une noire dépression.
Bien sûr, s’attacher à une personne, l’aimer et puis la perdre, n’était pas qu’un artefact et une vue de l’esprit. Mais ô combien une action collective au service des autres pouvait enrayer la douleur, la sombre douleur qui gît au cœur de chacun.
Douleur qui nous met tous à égalité, douleur qui nous dicte sa loi – telle une calamité nécessaire et injuste afin de nous mettre à l’épreuve. La douleur ! Un poids tel dont il faut inverser la nuisance pour s’en servir comme levier. Pour peser sur le monde et sur les choses. Lutter contre ce mal absurde.
Antoine n’avait rien d’un disciple de Bouddha, prônant que vivre bien était l’absence de dépendance à l’autre. Une force instinctive lui montrait peu à peu le chemin. La lutte, la lutte pour lui-même et pour les autres, au service de l’avenir, là était l’issue ; et non cette douleur qui rendait solitaire, cette mélancolie qui broyait les êtres – jusqu’à l’aporie, la mort absurde. L’idée faisait son chemin.




































CHAPITRE CINQ

Le grand débat

Certains parlèrent d’une invasion comparable à celle des Huns autrefois. On annonçait tout à la fois dans un délire des plus comiques : le retour des Barbares, des grandes migrations ; on évoquait Attila ainsi que les cavaliers de l’Islam juchés sur leurs petits chevaux arabes. Le péril jaune tant annoncé était enfin là… Seule la jeunesse respira. On n’allait plus parler du péril jeune, du moins pendant quelque temps.
La Chine débarquait dans un vol cataclysmique avec ses armées de coléoptères. Difficile à reconnaître pour un non initié la coocinelle asiatique, surnommée aussi« multicolored asian ladybird », présentait de nombreuses variétés. La coccinelle locale à deux points, à quatre points, à dix points, l’Adalia bi-punctata, l’harmonia 4-punctata, l’Adalia 10-punctata et la coccinelle à sept points craignirent pour leur vie. Soit elles se faisaient dévorer par la coccinelle asiatique, plus grande par la taille, plus invasive et plus vorace, soit elles mouraient écrasées entre les mains des humains, voire brûlées vives ou congelées. Des coccinelles, dont c’était une des spécialités de faire le mort pour échapper à leur prédateurs, n’osèrent plus remuer une antenne.

Un observateur averti aurait pris le temps de vérifier la couleur des six pattes, plutôt brunes et rarement noires chez la coccinelle asiatique. Un autre aurait mesuré les corps bombés : moins de cinq millimètres, elles étaient bien européennes, sauvées ! Et dire que ces belles étrangères travaillaient mieux que les nôtres, étaient plus efficaces et moins coûteuses… Imaginez que notre coccinelle à deux points est vendue plus chère dans les jardineries, qu’elle est moins féconde, mange moins de pucerons… Le choix est vite fait ! On choisit l’asiatique, gourmande, courageuse, prolifique, guerrière et ravageuse. Pourquoi s’encombrer de mauvaises employées plus fragiles, qui se laissent dévorer par leurs partenaires devenues leurs ennemies ?

Extrêmement vorace et polyphage, la coccinelle asiatique adulte se permet de passer l’hiver dans nos maisons puis, au printemps, à l’instar des bêtes à bon dieu européennes, l’accouplement a lieu. La femelle dépose une trentaine d’œufs par petits groupes sur des feuilles déjà envahies de pucerons. Une semaine écoulée et voilà les œufs qui deviennent larves molles, déjà affamées. Puis après plusieurs jours passés à dévorer tendres pucerons et cochenilles, c’est la nymphose. La nymphe reste quasi immobile et fixée au feuillage. Encore quelques levers de soleil, le nouvel adulte émerge, et le cycle recommence. Deux générations peuvent ainsi se côtoyer dans une même année.

On discuta donc de la notion d’espèce utile ou nuisible. Un débat télévisé entre deux sommités eut lieu. L’entomologiste bien connu Jacques Fabre ( à ne pas confondre avec Vabre, celui aux grains de café bombés comme des coccinelles ) et le juriste éco-responsable, délégué auprès du Ministère de la Santé. Ce dernier mit la charrue avant les bœufs, conclut derechef, voulant de suite capter l’auditoire, sans prendre le soin d’argumenter.

La coccinelle asiatique est absolument nuisible ! Il faut que nos téléspectateurs le sachent !

Son interlocuteur, calme, élégant, croisa les mains devant son visage et avec douceur, répondit.

Aujourd’hui, cette notion « d’utile et de nuisible » est devenue obsolète cher confrère ! Toute espèce, même la « multicolored asian ladybird » a sa place et joue un rôle qui participe à l’équilibre subtil de nos écosystèmes. Moi, je parlerai de ravageurs pour les espèces qui sont susceptibles de provoquer une perte économique pour l’homme, et d’auxiliaires pour les espèces utilisées par l’homme pour lutter contre les ravageurs. Vous me suivez, n’est-ce pas ?

Vexé d’être pris pour un pseudo-scientifique has been, le délégué écarlate et rouge coccinelle s’énerva. Il aurait bien traité son collègue de « ravagé » mais préféra le dire autrement.

Vos ravageurs sont une catastrophe considérable ! Et quant à vos auxiliaires, je n’ai pas de leçon de conjugaison à recevoir de vous ! Ni de grammaire d’ailleurs !

Ignorant l’ignorant, le brillant entomologiste poursuivit.

La coccinelle asiatique entre non seulement en compétition pour la nourriture et l’espace avec les coccinelles prédatrices indigènes mais, en plus, elle est capable de se nourrir directement de leurs larves, se comportant ainsi en prédateur intraguilde. Vous n’êtes pas sans savoir cher confrère qu’une guilde est un ensemble d’espèces utilisant les mêmes ressources telle notre Harmonia axyridis. Les membres d’une même guilde sont donc en compétition pour la ressource pucerons. L’acte de prédation sur un membre de sa propre guilde présente un avantage direct : gain énergétique sous forme de nourriture et un avantage indirect : élimination d’un compétiteur. Le fait que la coccinelle asiatique soit un prédateur intraguilde très efficace rend donc cette espèce invasive particulièrement dangereuse pour les populations de coccinelles indigènes.

Le délégué à la Santé, remis de ses émotions et pour faire bonne figure, se reprit, après avoir choisi de faire le mort - phénomène appelé thanatose chez la coccinelle quand elle veut échapper à un dangereux prédateur.

Il faut sauver nos coccinelles indigènes, cela ne fait aucun doute ! Mettons en place un système législatif qui permette d’exercer un contrôle et d’évaluer l’impact des agents utilisés en lutte biologique.
Nous sommes d’accord sur ce point cher ami. N’oubliez pas que l’affaire est grave. J’attends que votre Ministre de tutelle prenne les mesures qui s’imposent…

Suivit un documentaire insipide sur la vie des coccinelles loin d’exciter par leurs phéromones le moindre spectateur qui préféra zapper, sautant ainsi qu’une sauterelle ou une puce du coq à l’âne – se croyant libre de ses chaînes…







































CHAPITRE SIX

Nature ouverte, nature offerte ?

Antoine de La Clairgerie qui se morfondait sur son domaine depuis deux mois, fixé exclusivement sur lui-même et son deuil, décida d’en savoir un peu plus. Il lut, écouta, regarda sur Internet les nouvelles de cette fameuse Harmonia axyridis. Journaux, revues, reportages vidéo, blogs, tous les medias furent consultés. L’écologie avait toujours passionné Antoine, nourri de récits et de connaissances depuis l’enfance par l’herboriste Jacinthe et sa sœur Philippine.
Ces deux femmes-là continuaient d’apporter leur contribution au bien-être de leurs semblables. Bien sûr, la notion de commerce était un des corollaires de cette nouvelle approche alimentaire. La façon de se soigner et de se nourrir le plus naturellement possible avait aussi un coût, et les « vignoleuses » furent évidemment critiquées par des confrères jaloux, voire une partie du corps médical qui criait à l’imposture.

Quoi ? Des algues ! Elles prétendent nous sauver avec ces simples brins d’herbe, foutaises !
Ces personnes oubliaient que Philippine avait exercé le métier de pharmacienne depuis plus de trente ans et que sa sœur aînée, herboriste de terrain, avait contribué par ses diverses préparations, à soulager bien des malades. Les deux sœurs parlaient même de se rendre en Chine pour l’Exposition Universelle de Shangaï 2010 afin de faire connaître leurs produits et d’étudier sur place la cosmétologie chinoise, les effets des algues sur la nutrition et la santé auprès de la population, de comparer leur humble savoir avec d’autres partenaires.
Elles aussi, pour échapper à la douleur d’avoir perdu Isabella, fille de Philippine et nièce de Jacinthe, voulaient se lancer dans l’aventure. Une force les attirait vers l’ailleurs, la Bretagne leur semblant trop petite.

Antoine se rendit à Paris et en Belgique, consulta quelques professeurs qui lui apportèrent de nouvelles connaissances sur la coccinelle asiatique. Le domaine du Château de La Clairgerie, toujours surveillé de près par le directeur adjoint Louis Franck, continuait de produire de grands vins.
On attendait la sortie imminente du dernier film « Marguerite de Bourgogne » avec pour vedette principale Isabella Elgé, l’actrice bretonne assassinée pour une sombre histoire de jalousie. Monsieur de La Clairgerie, son producteur, fut très sollicité, apprit à dominer sa douleur. On put le voir et l’entendre sur de nombreuses radios et chaînes de télévision, tandis que la bande annonce du film défilait. Un succès national qui n'allait pas tarder, assurément...

Antoine fit plusieurs allers-retours entre Beaune et la Bretagne pour se rendre sur la tombe de sa fiancée. Il rendit visite au père et aux deux frères d’Isabella, trois hommes courageux qui continuaient d’extraire le granit dans une carrière à ciel ouvert sur la commue de Perros-Guirec. On partageait les larmes, les souvenirs.

Pierrick, le travail que vous avez effectué de vos mains pour votre fille est une œuvre magnifique. La tombe d’Isabella est si belle que je ne souhaite qu’une chose. Reposer un jour auprès d’elle.
Merci Antoine, mais ce que mes fils et moi avons accompli est plus qu’un monument. C’est notre cri de souffrance, sobre, comme le silence. Les discours n’apporteront rien de plus.

Les regards se croisèrent. Les deux femmes, les quatre hommes en présence - tous les yeux embués - méditaient la réponse du père d’Isabella.

Jacinthe Durelier avait aussi perdu son mari, suite à l’horrible assassinat ², mais il était rare que l’on prononçât le nom d’Ambroise Durelier dont le corps reposait au cimetière de Beaune.

Isabella n’était pas réellement morte puisque les forces de l’imaginaire et de l’esprit allaient bientôt la représenter sur les écrans. Sa tombe était journellement fleurie par des anonymes, et le petit cimetière de l’Île-Grande sur la commune de Pleumeur-Bodou recevait la visite de nombreux admirateurs et admiratrices.

Il n’était pas rare qu’en ce mois de mai, viennent voleter autour de la sépulture de l’actrice quelques abeilles et surtout de superbes coléoptères rouges à deux points. Se posant pour dévorer les pucerons avides de se nourrir des bouquets de fleurs fraîches.
Et la douce présence de ces coccinelles au travail semblait indiquer aux humains le chemin discret, la voie de la sagesse, afin qu’hommes et bêtes puissent vivre en harmonie. Côte à côte, dans une biodiversité volontaire et opportune.







² Voir le roman précédent « Cocktail cruel ».















CHAPITRE SEPT

Leçon inaugurale.

Antoine avait évalué et bien compris l’importance des enjeux d’aujourd’hui auprès d’un professeur qu’il rencontra en Belgique.

Depuis 1992, la biodiversité désigne la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques. Cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, ainsi que celle des écosystèmes. De manière générale, un écosystème diversifié semble connaître une productivité accrue. Bien qu’ils restent très prudents dans leurs conclusions, les spécialistes estiment aujourd’hui que la biodiversité permet aux écosystèmes de mieux résister à la pénétration d’espèces étrangères ou aux maladies, et de se rétablir plus rapidement en cas de perturbation. Dans le doute, et si l’on veut en savoir plus, mieux vaut en tout cas sauvegarder autant d’écosystèmes différents que possible.
Si je comprends bien, ajouta Antoine, la diversité biologique est l’ensemble des innombrables organismes vivants présents sur la planète. Ils fournissent des aliments, des médicaments, du bois et des combustibles. Ils jouent un rôle primordial dans la purification de l’air, la préservation des sols et la stabilisation du climat. La bio-diversité est à la base de nombreuses industries comme l’agriculture, la viticulture et l’éco-tourisme.
Exact, Monsieur de La Clairgerie, les richesses du vivant sont insondables et ses mécanismes d’autant plus difficiles à saisir que la biodiversité est un concept à large spectre. Il s’étend des gènes à la biosphère, en passant par les espèces et les écosystèmes. La plupart des gens considèrent comme allant de soi les énormes services que les écosystèmes rendent gratuitement. Ils pensent que la nature continuera de les assurer, quels que soient les dommages qu’ils causeront. Pour terminer, je dirai que les écosystèmes rendent en effet à l’espèce humaine des services environnementaux inappréciables, essentiels à sa survie : la fixation du carbone de l’atmosphère et la production d’oxygène, la protection des sols contre l’érosion et le maintien de leur fertilité, le filtrage de l’eau et le réapprovisionnement des nappes phréatiques, la fourniture d’agents de pollinisation et d’agents anti-parasitaires, et caetera. Les deux premiers de ces services sont intimement liés. Ils résultent de la photosynthèse effectuée par les végétaux verts, à commencer par les algues, lorsqu’ils absorbent le gaz carbonique et émettent de l’oxygène.

Antoine réalisait que pendant des millions d’années, l’équilibre entre les différents gaz de l’atmosphère était demeuré stable. Puis avec la révolution industrielle, les hommes avaient brûlé des quantités croissantes de combustibles fossiles. Aujourd’hui, trois milliards de tonnes de carbone s’accumulent chaque année dans l’atmosphère, les écosystèmes naturels ne pouvant plus absorber toutes les émissions. Et ce d’autant moins qu’ils disparaissent à un rythme inquiétant. Pis, la déforestation produit elle même d’énormes quantités de gaz carbonique et d’autres gaz à effet de serre, comme le méthane. Jusqu’à devenir la deuxième cause de réchauffement climatique.
Et si lui aussi se lançait dans un projet nouveau ? Combattre sa douleur d’avoir perdu Isabella en faisant de sa souffrance individuelle un levier. Un levier assez puissant pour se mettre au service de la collectivité. Les forces de la volonté suffiraient-elles contre l’absurdité de ce monde ?
Antoine pensa aux futures générations et aux enfants qu’il aurait souhaité avoir avec Isabella. Le futur et la nostalgie s’affrontaient. Un simple citoyen pouvait-il peser sur le destin collectif ? Il en doutait bien sûr, mais l’immense chagrin qui avait coulé dans son sang lui avait donné une nouvelle naissance. C’est de l’intérieur de cette douleur qu’était née l’exigence d’un nouveau destin à accomplir.
A l’instar des bêtes blessées ou malades, Antoine avait eu la pudeur de se terrer dans un coin et d’attendre, solitaire, silencieux. Il était l’heure de dire, comme Claude Albarède.
« Verse le vin, partage un fruit, fais que l’autre t’atteigne. »
Il entra dans l’action et devint solidaire.