jeudi 30 avril 2009

nouvelle échevelée

FADO MINEUR EN REGALANCE
Une mise en scène

I
Je suis née un jour d’oubli, de froide résurgence. Il pleuvait ce jour-là des adieux de poèmes. Les filles à marier hoquetaient comme des cloches. Et le beffroi sonnait des airs d’hallali.
Tous étaient sur la paille : l’âne, le bœuf et l’autre, qui lorgnait dans l’œil du voisin. On aurait pu croire qu’il tombait des faucilles, que le sang répandu avait un goût de miel - avec son petit ru qui coulait par saccades. Les rues poissaient, le beau temps moisissait, et même les ailes des mouches n’y croyaient plus à l’envol de la pensée.
La chouette de Minerve avait fermé boutique, son œil et son clapet, baissé le rideau de fer ; et seul les becs de cane indiquaient encore le Nord, l’espoir droit devant, au fond de la cour à gauche.
On respirait mal. On transpirait bien. Les peuples agitaient des carcasses de rêve au-dessus de leurs têtes.
Seule dans mon accoutrement du premier jour, suspendue à une poutre, un clou, un harnais, un lange bien noué, je cherchai des sensations fortes. Déjà mon odorat pouvait distinguer l’odeur des ombres vives, des âmes mortes ; bref ! Le monde, et son cortège d’hallucinations habituelles. La vie est un songe, isn’t it Mister Calderon ? Des remugles de cuisine, de pisse tiède, de brioche ; et l’odeur d’un violon neuf qui vient juste d’être verni.
On aurait pu être à Venise, on n’était qu’à Mornebach, petit village de rien du Doubs. Altitude 429 mètres, boucherie - charcuterie à tous les étages, un bistrot, Le pourquoi Pas ? ; et une kyrielle d’habitants effrontés : fruits de la passion, pommes de discorde réunis en quelques quartiers, jetés là, au hasard des saisons.
Ma première impression fut la bonne. Elle était épaisse comme une tranche de bon pain avec juste deux belles taches de fruits rouges qui lui servaient de joues ; belle à croquer, appétissante à souhait pour le marmot que j’étais. La bonne était ma nourrice. Ma nourrice fut la bonne. J’étais sauvée.

II
Le mythe des origines était une fois de plus en première page. Ma photo y tenait lieu de preuve, y était bien en place, et j’y tenais à cette illustre action, au format 9 x 13. Bien que n’y tenant plus, il vaut la peine de dire que le photographe anonyme nous avait fait languir, j’étais en veste de fourrure, avec un zeste de fou rire, offerte au monde... Le journal m’avait gratifié d’une photo à la Une. Unique en son genre la mouflette, en verve ! Mais plantons- là le décor et oublions les apparences. Moi, genre ogresse en miniature, suçotant à loisir la belle bombe de chair fraîche de sa nourrice, nue, dans ma seule veste de fourrure.
Elle, béate, comme si elle “faisait” ça pour la première fois, les dents bien en vue, le bras souple m’enlaçant. On m’avait élevée à la hauteur humaine. J’étais, pour le lecteur, la métaphore vive du clone, atteint par la grâce de la modernité. Légende : “Le retour des beaux jours”. Ce n’était qu’une photo publicitaire, pour la publicité. Mon destin pouvait désormais s’acheter, ou se vendre; au plus offrant.

III
Ici commence un nouveau rêve. O sotie ! Poignée de main aux oiseaux. Je leur jette les mies blanches de mes nuits. Pas de culpabilité et surtout pas de finitude. Je revendique un concept moderne de destin : une poignée de pain de mie, de mie de pain, partager l’intelligence du jour. Avec qui ? Allégeance et contingence ? Avec quoi ? Se bousculent encore les voix abolies, les visages muets, traces absentes, interfaces défaites. Malgré tout, jubilons ; car si tout est déceptif, rien ne sert de mourir ; il faut, il vaut la peine, plutôt, de partir à temps vers le pays d’Oblaaaaablaaation. Offrons nos corps à la mitraille, nos cœurs à la vindicte, et profilons bas, à l’anglaise comme je te pousse, et sautons les obsolescents obstacles des religions, confondues en magmas volcaniques. Que ces borborygmes sacerdotaux ruinent nos pas, grèvent notre budget militaire et que s’embrasent désormais sur la bouche à feu, le sabre et le goupillon, la salive des clairons, la salve du sauveur suprême, l’écrivain de la vie. Fin du rêve ?
Il est temps de revenir à ma genèse... Donc, au deuxième jour, je fus prise en flagrant délit de photo, avec nourrice et attirail. Le journal, qui voulut bien célébrer le printemps, cette éternelle, histoire, avait organisé le concours du plus beau bébé. Le village avait tranché ; j’étais choisie, puisque née la veille de cette féconde et salutaire saison, mais quelle saison ne l’est pas... Ma mère était déjà partie faire des courses, à Killarney, avec un nouveau jockey, fort en gueule et fier à bras, comme un Turc en miniature, qui savait, à ce qu’on m’a dit plus, tard, la monter gaillardement en levrette berrichonne, en brouette écossaise, à la Béru, à la Blériot et autres zoiseaux du genre... masculin pluriel. La nourrice, prénommée et nommée Clémentine Heurtebise de La Souche, c’était une ancienne noble déchue de haut lignage 222 000 Volts, Ampère et fils au capital de 70 000 Euros, remboursables au taux actuariel brut de pomme de 6,4 la minute, cette nourrice affable, me recueillit donc.
Elle eut le bon goût de m’attirer entre ses généreuses mamelles et de faire de moi la plus heureuse des mômes. On dit d’Homère qu’il était aveugle, dixit Homerum caecum fuisse, on dit beaucoup de choses, on en écrit tout autant en emporte les goélands, mais il vaut la peine de savoir, tout de même, que je m’instruisis beaucoup au cou de cette nourrice, non agréée par le gouvernement, non reconnue, par l’Université de Montbéliard, non admise au Capes de philanthropie, mais géniale, absolument formidable. Je dois à Clémentine, la douce féminine, la chair de mes yeux sombres, l’appétit pour la vie, la soif de connaissance et le goût des études. Elle m’apprit la danse du ventre vide, le tamouré en grains, la valse aux adieux, la prise de la Castille ; toutes matières confondues, je devins un fort en thème, quoique ayant de l’aversion pour icelui. Gloire et bénédiction, orgueil du con savant, autoglorification ; qu’il est facile de se livrer, de livrer en pâture ses souvenirs complètement inventés et vrais à la fois, la littérature et l’autofiction, vous le savez peut-être, mes chers consœurs, étant une modélisation secondaire du réel ; mais crève de plaisanterie, comme le disait Milan Kundera à Monsieur K..., l’histoire continue tambour major battant.

IV
... Sinon que dire de Clémentine, fourmigale adulée, princesse désarçonnante, qui n’eut de cesse de m’étonner, de me ravir, de me distraire, de me malaxer le patrimoine génétique, de me ronger l’os, jusqu’à la dernière goutte. Sa nourriture m’apporta, outre le couvert des mots, blottis en elle comme une tiède nostalgérie, la force de combattre les barbus de tout poil, les fanatiques du Livre, et tous les collabos de l’âge d’or. Nourri ainsi de stupre et de vermisseaux, je subsistai jusqu’à la Pentecoûste 1976 de l’ère chrétienne, année qui vit mourir (vit de voir et non de vivre) mes compagnons de route : Malraux, Mao, Queneau ; trois gloires fantastiques, fantaisistes et élastiques à toute théorie qu’elle soit littéraire, poétique ou politique. Voilà comment j’écris l’H/histoire et pourquoi cette fille est restée muette.
Pendant ce temps, Clémentine nourrissait la volaille, gavait le cheptel, les oies de contrebande ; et gare à l’oiseau qui aurait voulu profiler son aile sous ses jupes graillonnantes ! Elle vous l’écrabouillait alors d’un coup de talon mal placé entre le méat et la fosse d’aisance d’icelui. Et seul un urinoir en détresse aurait pu encore reconnaître les siens.
1976 fut une année terrible. Terrible et magnifique, car je perdis mon sens du guilledou, mon innocence amène, atteint d’une nécrose pulmonaire qui allait bientôt m’envoyer à dame. Je respirais aussi de si altiers cirrus que le plein air et ses activités champêtres, m’apportaient le bien naître qui me construisait chaque jour un peu plus. Maintenant que je vis retranchée dans ma tour de cigares, je fais moins le Malin ; j’aspire à des nuages doux, à des envolées de points sur les I, à des combats de mots écharpés, à des foulards de soie sauvage. La baleine blanche a fait deux petits : nuage sur le dos, marée montante. Le soleil se couche à la croisée des fontaines.
Je respire un entourage de jardins, d’orages en fleurs ; une vive lumière éclaire les légumes. Bien aise dans ce parc aéroterrestre ! Tout est à la mesure de l’incommensurable ! Tant mieux ! Pas de fin ! J’entends un piano qui escalade des descentes impromptues. Ach ! Ce Bach ! Arsenal de ma douleur, et ce… Povitch ! Pourquoi toutes ces touches de laine impressionnistes, tricotées à l’encre du poignet ? Je me fonds dans une goutte de neige. Rien ne va plus de soie. Parole cadenassée, tour d’écrou, tour d’ivoire et tapis noué, comme ma gorge. Plus aucun motif, et pourtant !
Va donc te terrer et te taire, loin des cieux et autres hauts rhizomes.
A bientôt de te retrouver pour d’autres nouvelles, d’autres recherches.

Signé, Elise,
et souviens-toi de la lettre, disparue, et, de la disparition.
Adiou.

1 commentaire:

Littérature Yann Venner a dit…

juré, j'avais pas bu ! un peu surréel tout ça, mon cher André Breton ! Si tu 'apprécies pas, c'est pas grave ; j'apprends encore à écrire... Et je suis du genre...tenace...