mercredi 22 avril 2009

POUR GAZA

GAZA
(Lumière pour les oubliés )
Ernest Pépin/Amadou Lamine Sall/

 rassemblés parYann Venner



I

Souvent dans mon enfance
Et encore aujourd'hui j'ai entendu dire
Que les poèmes ne servent à rien
Que les fusils sont plus forts que les mots
Mais c'est la guerre qu'il faut tuer
Les mots de la paix sont innocents et faibles
Ils ne portent pas des blessés dans les bras
Ils n'enterrent pas des cadavres
Ils ne vocifèrent pas aux frontières
Ils vont graines lentes aimées de l'étincelle
Tortues lourdes de la carapace du ciel
Oiseaux indispensables à l'amour
Chaque jour cheminant chaque nuit travaillant
Pour que meure la guerre des hommes contre les hommes
La terre n'est qu'un prétexte où s'enflamment leurs yeux
Les religions allument des bûchers
Et les mains qui s'éteignent de rencontrer la mort
N'ont jamais dit bonjour à l'ennemi des bonjours
Les mots de la paix semblent des mots de lâches
On les rencontre souvent dans les yeux des cadavres
Sous les toits effondrés par tout le poids du sang
Dans les drapeaux où s'enroulent les cercueils
Ils répètent c'est la guerre qu'il faut tuer
La guerre toute la guerre
La guerre de celui qui brandit ses raisons
La guerre de celui qui a honte de ses torts
La guerre qui brûle les poèmes sans défense
La guerre qui tord les mots
Qui écrase les fleurs
Qui coupe le cou du soleil
Et qui fait du jour une fumée sans nom
Les mots de la paix ont crié au secours
Ils suivent les fantômes des peuples massacrés
Ils dénoncent ils protestent
Ils signent des pétitions qui sont des boulets d'encre
Ils demandent pardon à la mère à la sœur
A l'épouse qui se noie dans ses cheveux de veuve
Au vieillard prostré dans un jardin d'horreurs
A l'enfant dont l'enfance joue avec des assassins

II

Je demande pitié pour les femmes ! Pour ces corps fracassés, brûlés, assassinés que l'on retrouve un soir ou un matin au carrefour de la haine.
Je demande pitié pour ces amours violentes qui attentent à la vie comme s'il s'agissait d'une truie qu'on abat.
Je demande pitié à ces hommes égarés qui confondent la femme et la propriété.
Je demande pitié pour tous ces désamours qui déchirent l'amour comme une feuille de papier.
Je demande pitié pour les femmes qui veulent leur liberté et que l'on emprisonne dans la mort.
Je demande pitié pour ces mères qui n'enfantent que la mort pour cause de désaccord.
Je demande pitié pour la vie, pour le droit à la vie, pour le respect de la vie.
Je demande pitié pour celles qui ont trébuché, qui ont menti ou qui tout simplement veulent changer de destin.
Je demande pitié pour ces sœurs auxquelles on ôte
la chance de vivre en sœur des hommes.
Je demande pitié pour les femmes qui ne sont pas des saintes
et qu'on jette au bûcher comme des sorcières infâmes.
Je demande pitié pour les femmes qui veulent dire adieu ou simplement au revoir et dont on tranche les liens à coups de couteau, de pierre ou de fusil.
Je demande pitié pour que les hommes dominent en eux l'instinct bestial
de la colère, l'instinct tueur, le réflexe meurtrier, la pulsion assassine.
Je demande pitié pour que les hommes et les femmes retrouvent dans ce pays l'honneur et le respect de se donner la main par-delà les douleurs,
les malentendus, les jalousies et les divorces.
Je demande pitié car en tuant une femme, coupable réelle ou imaginaire,
c'est la dignité de l'homme qu'on assassine.
Je demande pitié car une société se mesure à la façon dont elle traite les femmes.
Je demande pitié pour que cesse le désastre des orphelins,
des familles endeuillées, des parents éplorés, des cimetières
honteux d'accueillir des martyrs.
La pire des défaites pour une société c'est de se saborder en crimes passionnels, crapuleux, fous et désespérés.
Je demande pitié pour les femmes car je me souviens que toute femme
est la mère de la vie.

III

Ils disent et prédisent des avalanches d'épées sur la ville
ils disent et prédisent des charrettes de feu sur la ville
mais ce pays n'habite ni le ventre des volcans
ni la revanche des fous amputés à vif
pourtant à force de nudités à force de cris la grâce meurt un soir…
alors pour que l'orage ne révèle pas nos iguanes
avant que des termitières ne naissent des reptiles aux yeux de sang gelé
avant que la mer ne se refuse à la mer
que le jour ne s'illumine de bougies
avant que la nuit n'ait besoin de nageoires pour regagner l'aube
pour que toute houle soit effeuillée de toute marée opulente
que tout cyclone sommeille à hauteur des pagaies
et que les oiseaux restent dressés dans la liberté des vents
avant que les routes du ciel ne soient ensevelies
pour que la mosquée repose le poids de nos épaules
et que l'église soit le havre de l'offrande
je voudrais vous dire à vous ma jeunesse de soleil et de bras abondants
à vous autres que l'âge a servi dont les années ont mûri l'âme
à vous qui avez bu toute la mémoire des lanternes
et éclairé tous les boulevards de nos doutes
à vous dont la montagne a nourri les pas
et la montagne voit plus loin que le guide
à vous à qui l'arbre a prêté son ombre et l'ombre le tronc de l'arbre
vous à qui nous souhaitons les routes du jour clair
je voudrais vous dire hors des routes du mauvais sang
des nids dorés du pouvoir aux marées de passions
je voudrais vous dire au nom de mon pays tant aimé et de ses lettres d'or
au nom des archives pourpres et glorieuses
au nom des mémoires en fleurs de miel
vous dire au nom de notre commune espérance têtue
vous dire à vous qui avez foré tant d'horizons
permis tant de jours de mil tant de jours de riz
( mais les corbeaux arrivent dans la cuisson inachevée des étoiles
les maîtres du temple ont fêlé des rêves retardé des aurores
éteint le scintillement des roses raréfié le pain et le sel
déchiffré seuls d'intouchables signes
car c'est ainsi souvent la marche des gardiens quand Dieu dort
et qu'ils jouent à prendre Sa place)
vous dire à tous vous dire avant l'ultime sirène
que de l'est les lions s'apprêtent à gravir la montagne
que l'innombrable horde dans la vallée a dénombré chaque pierre
qui fait la montagne et que toute la horde rugit face à la montagne
vous dire avant que les crinières ne se hérissent que les colères ne fermentent
à vous tous qui avez fait le choix du cercle de feu
vous dire : surprenez-nous donc
surprenez-nous à rebours des cris de tant d'oiseaux affamés
à rebours de tant de radios qui ouvrent tant de coffres scellés
de tant de journaux qui vendent crachats et roses
de tant de juges sur les routes cabossées des insomnies
de tant de faux saints dans l'impureté de leur lumière
et tout le reste qui ne porte pas un seul linge blanc…
Rien n'est pourtant fini si on sait parler à la paille avant le feu…
Vous dire que l'histoire n'a pas séché son encre
reste seulement à savoir quelle page ajouter aux livres des vivants quelle page retrancher de l'oreiller des morts
quelle page espérer demain des chants des poètes
quand sur bien des tombes auront fleuri champs de piments
et que nos fils nous auront devancés dans la bouche des juges…

Mes respects et mes vœux à vous tous
ceux qui ont prié et ceux qui sont las de prier
ceux qui ont mangé et ceux qui rusent d'avoir mangé
pour ne pas déshabiller leur dignité
ceux qui lisent les écriteaux des banques
et qui remplissent leurs poches de billets imaginaires
ceux qui croient que la terre est ronde que leur chance arrive
ceux qui ont juré de ne plus voter ni pour des hyènes ni pour des gazelles
ceux qui ne peuvent plus dormir avec leur corps la nuit
avec leur conscience le jour
ceux qui se réveillent dans leur pays et qui se demandent
comment s'appelait-il donc ce pays
ceux qui prennent la vie comme elle vient
tel l'arbre qui attend sa saison pour fleurir
car le poète a dit que l'arbre donne ses fruits
ceux dont la bouche aiguise des couteaux
dont les yeux fouillent le satin des coffres
ceux qui rient et qui n'ont même plus de dents
ceux qui dansent et chantent même quand le temps est pourri
ceux qui ont choisi d'attendre tout de la vie
ceux qui ont choisi d'attendre tout de la mort
ceux qui n'attendent rien ni de l'un ni de l'autre
ceux qui sont pauvres mais dignes ceux qui sont riches mais provisoires
à vous tous femmes et hommes de ma prophétie
enfants de mon arc-en-ciel
puissions-nous tous ensemble porter ample le mot Poésie
main à main cœur à cœur pardon contre pardon
et le servir de la terre au ciel le front haut dans la lumière
humble lumière pour les oubliés
.

1 commentaire:

Littérature Yann Venner a dit…

Attention, ce n'est pas un poème de mon invention ; c'est un collage de poèmes de deux grands auteurs que j'ai rassemblés ici en changeant quelques vers et en adaptant ce nouveau texte à ma manière.
C'est un hommage, non un plagiat puisque je cite leurs deux noms.