dimanche 22 novembre 2009

Hommage à Raymond Cherreau 1905-1988, inventeur

Un inventeur beaunois


Le but de la vinification en rouge est d’obtenir par macération une extraction aussi complète que possible des substances contenues dans les peux des raisins : matière colorante et tanins, et leur diffusion dans le moût.
Or, paradoxalement, les peaux des raisins, après leur mise en cuve, ont tendance à se soustraire en partie à la macération, du fait qu’elles remontent en surface sous la poussée du gaz carbonique et demeurent flottantes, dès que la fermentation est déclarée.
Cette accumulation de peaux à la partie supérieure du moût porte le nom de « chapeau ». Il est donc nécessaire de remédier, par l’intervention du vinificateur, à cet état de chose.
Les anciens, qui le savaient bien, n’ont pas eu d’autre moyen que le foulage aux pieds, ou pigeage, pour disloquer quotidiennement la formation du chapeau et le noyer dans la masse du liquide.

Depuis 1847 à Beaune, des constructeurs brevetés au service de la viticulture cherchèrent une machine capable de remplacer plusieurs hommes nus en train de patauger dans la cuve durant plusieurs jours. Un inventeur beaunois, Raymond Cherreau, descendant de cette famille de constructeurs, après des nuits de recherche, passionné par la technologie, mit au point la technique suivante aux alentours des années 1960 :
Il remplissait la cuve normalement de vendange foulée égrappée et laissait partir en fermentation. Puis, il descendait un impulseur fabriqué par ses soins, dans la cuve et le mettait en marche une seule fois. On chaptalisait ensuite le plus raisonnablement possible. A la fin de la fermentation, on faisait écouler le vin de la cuve. Le marc restait sur lattis et il était repris de préférence avec un élévateur à godets spécialement adapté pour le chargement des pressoirs. Ce marc était serré une seule fois, très lentement, par le pressoir, et le jus de presse était remis directement avec le jus de la goutte.
Le volume des bourbes étaient ensuite distillées séparément en eau de vie de vin.
Le jus de goutte, filtré à travers le marc à son écoulement, se clarifiait un mois plus tôt qu’en vinification normale, et était plus coloré.
La richesse en tanin du vin et l’intensité colorante se traduisaient par un enrichissement de trente à cinquante pour cent par rapport à une vendange-témoin traitée en vinification habituelle.
Cette nouvelle méthode de foulage par impulseur spécial rencontra un vif succès.
Monsieur Cherreau inventa aussi des échangeurs de température, des égrappoirs-fouloirs-pompes, fabriqua des cuves pour la vinification et le stockage, des pressoirs. Mais une autre invention, en 1975, allait faire sa renommée dans tout le pays : un égrappoir-fouloir-pompe supprimant le pourri-sec à quatre vingt pour cent.
Cette machine consistait donc à d’abord égrapper la vendange avant de la fouler ; ce qui était un progrès certain alors que l’on avait l’habitude de se servir d’un fouloir-égrappoir, c'est-à-dire que l’on pratiquait l’opération inverse. Mais si cela marchait pour la vendange blanche, cela posait deux problèmes pour la vendange rouge : l’éraflage était souvent trop rapide et le foulage trop serré du fait d’un écartement non négligeable et réduit des rouleaux. Quand la vendange était saine, cela passait encore pour l’égrappoir, mais comme une année sur deux, ce n’était pas le cas, il fallut remédier à ces problèmes. Le foulage serré, extrayant le maximum de jus, restait contraire au désir de réduire la vitesse de fermentation, donc de limiter le risque d’élévation de la température du moût en cuve.
Raymond Cherreau, en réduisant la vitesse de rotation de l’égrappoir et en réglant cette vitesse en fonction de l’état et aussi de la nature de la vendange, put limiter, sinon éviter l'apport de raisins altérés, toujours difficile à faire enlever par les vendangeurs, surtout lorsqu’il s’agit de pourri sec, dangereux en cuvaison par les goûts anormaux et indélébiles qu’il communique aux vins rouges.
Par ce moyen mécanique, le raisin pourri sec et également une partie des pellicules du raisin pourri frais se trouvaient éliminés en restant attachés à la rafle rejetée par l’égrappoir.

Nombre de vignerons de la Côte de Nuits et de la Côte de Beaune firent appel à ses services. Dans le Bordelais, on acheta aussi cette merveilleuse machine.








Mais une autre nuit, la main de cet homme dessina et créa encore une nouvelle machine. Non pas au service de la vigne, mais de la pierre cette fois-ci. Son esprit d’inventeur le poussa à imaginer et réaliser une machine automatique pour le sciage et un super polissoir pour les pierres - en particulier le marbre et le granit. Il avait été le premier à créer les machines à scier la pierre, avec un fil hélicoïdal. Une innovation technologique reconnue jusqu’à Carrare en Italie, qui lui permit lors de congrès internationaux sur la pierre, de présenter son invention. Les carrières de Comblanchien et Corgoloin à quelques kilomètres de Beaune l'avaient inspiré et lui avaient permis de venir expérimenter les plans et les ébauches des machines polissoir et scies à fil.

Il fit breveter ses inventions dans toute l'Europe, et traduire ses documents techniques. Ainsi il gagna quelques prix, dont un au célèbre Salon International des Inventeurs à Bruxelles en 1962 : médaille d’argent pour sa machine à surfacer les pierres.

Les professionnels de Bourgogne utilisèrent son matériel et, jusqu’en Bretagne, dans les carrières de granit, on se servit de ces machines à scier et à polir la pierre.
Ce qui incita Monsieur Cherreau, au cours de ses nombreux voyages en automobile, à prendre quelques jours de vacances estivales dans les Côtes du Nord, car le département s’appelait ainsi, avant de devenir les Côtes d’Armor en 1990. Il emmena donc régulièrement sa femme et ses deux enfants à Saint-Cast Le Guildo ainsi qu’à Perros-Guirec, où il rencontra nombre de propriétaires de carrières.

A Ploumanac’h, sur la commune de Perros-Guirec, il devint ami de Monsieur Yves Gad, carrier, à qui il confia dans les années 1955 son matériel pour travailler dans la carrière de La Clarté ; il tissa ainsi de solides liens d’amitié avec la famille Gad. Ce fut aussi l’occasion de découvrir d’autres spécialistes de la pierre entre autres à l’Ile Grande, lieu plein de charme et lieu magique qu’il affectionnait particulièrement.

Grâce à cet homme de foi, de courage et de conviction, des centaines de vignerons et de carriers virent leur travail simplifié et amélioré. Nombre d’œnologues, d’amateurs de vins et de propriétaires de grands crus trempaient désormais leurs lèvres dans des vins plus sains, mieux élevés et plus concentrés. Bien sûr, il y eut d’autres progrès, d’autres machines, mais cette lignée de constructeurs brevetés au service des viticulteurs depuis 1847 s’achevait. Monsieur Cherreau en avait été l’un des meilleurs, et le dernier maillon.

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