samedi 2 juillet 2011

beaune enquête, suite


A ces derniers mots, mon auditrice frissonna. Mais Margareth, d’un signe discret, m’encouragea à continuer ma narration.





III





« Et quand la pluie vous avait épargné, parfois c’était le gel qui vous assassinait ! Gerçures, engelures, crevasses, toux, quintes et fièvres s’emparaient de tout votre corps. Sol gelé, vigne givrée, rameaux tués. Sève absente, pas le moindre souffle vital. Puits et rivières prisonniers de la glace. Et encore les brouillards, le dégel, la gadoue, suivies de terribles chaleurs… Il fallait être fort pour vivre et résister.

Saint Vincent répondait quelquefois absent. On l’implorait, conjurait le sort ; la grêle affreuse s’abattait soudain, crevant le raisin, lacérant le feuillage, brisant le moindre sarment. Alors, laissant échapper sa colère, l’ouvrier prenait la statue de bois du saint, la jetait dans la Vouge ou la Bouzaise, à moins qu’il ne retournât la face du saint patron contre le mur de l’église durant la procession de janvier.

-        Où es-tu Saint Vincent, patron des vignerons ? Où donc es-tu passé, tandis que nous souffrons ?

Ce seul distique lâché dans la froidure hivernale ne trouvant pas d’écho, on s’en retournait tête basse au logis, trahi, floué par la vie. Une protection tant souhaitée, tant attendue n’était-elle qu’un leurre ? Etait-ce possible que sous le patronat du meilleur des saints protecteurs de la vigne, la défection de ce dernier soit envisageable ?

     - O bon saint Vincent pourquoi m’as-tu abandonné ? O Saint patron de la vigne, par Bacchus dieu du vin, pourquoi délaisses-tu tes humbles serviteurs ?

Et jamais de réponse à la question posée. Plus jamais de repos ni de cesse. Jamais, jamais.

J’appris alors  à la jeune journaliste qui m’accompagnait, que quand la trahison vous blesse, que vous vous retrouvez totalement démuni face aux injustices de la nature, une solution paraît alors la bienvenue : un remède bien plus efficace qu’un cautère sur une jambe de bois. Un remède à vous faire danser les sabots, tourner la tête et vous distraire : un pot de bon vin de chardonnay aux arômes fleuris, voire une pleine pinte de vin mordant d’aligoté,  à moins que ce ne soient quelques mesures de pinot beurot, ou de pinot franc rutilant. A la condition de les partager avec vos semblables, humbles travailleurs de la terre.

Par la grâce de cette  manne versée dans les verres,  toute injustice  et malheurs passés semblent peu à peu s’effacer. Le vin réparateur va ravir les gosiers, réchauffer les ventres, allumer les yeux. Et quelques gorgées plus tard, courbatures oubliées, rides envolées, fusent les rires. Les corps se mettent à vibrer, rassérénés par le miracle de cette liqueur vermeille qui se propage dans vos veines. La modeste ivresse partagée vous apaise l’esprit et l’âme - peut-être même sous le regard de saint Vincent - avant de vous endormir sur la table, tête dans les bras, pour quelques heures.

Il est encore possible que cette scène idéale ne soit qu’un effet de l’imagination. Au cabaret des princes, les gueux n’y ont place, c’est certain.

Une horrible piquette a pu vous être servie - boisson âcre, acide, amère. Les tâcherons qui produisent au bout de l’été par leurs incommensurables efforts le vin enchanteur n’ont que rarement le loisir d’y goûter. Peut-être y ont-ils trempé leurs lèvres, respiré les bien doux arômes, virtuels… Impénétrables sont les territoires de l’imaginaire, cette folle du logis qui vous saoule. 



Margareth, émue par mon récit, et toute attentive à ces histoires du passé, hochait de temps en temps la tête. Captivée, semblant boire mes paroles qu’elle enregistrait sur son petit magnétophone portatif, elle m’incita à poursuivre.

 Et si Monsieur le curé n’a pas le droit de faire la grimace en buvant devant ses ouailles le vin du bon Dieu, lui se permet, à la face de tous, tous les dimanches, de savourer une exquise liqueur, de préférence translucide, afin de ne pas tâcher son habit. Suave Montrachet, fringant Corton, Meursault enchanteur, Saint Aubin minéral. Tous ces vins blancs de chardonnay pour démontrer  - preuve à l’appui - aux humbles croyants rassemblés le dimanche, une possible idée du bon Dieu. Toutes ces richesses liquides afin de prouver – par démonstration in situ, la puissance divine. Et les pécheurs du dimanche de baisser la tête, tentés par le diable. Pour une simple gorgée de ce nectar, combien auraient été capables en pensée de tuer l’officiant, de lui faire rendre gorge, d’étrangler le représentant du bon Dieu…Sacrilège ! Par bonheur, Saint Vincent y pourvoyait.

Et Monsieur le Curé de lever vers le seigneur ses yeux clos, afin de mieux entrer en communication avec le divin. Instant sacré, un homme boit. Communication directe aux arômes de tilleul, de silex ou de pamplemousse. Aux effluves de rose, de beurre frais, de sauge ou de citrons mûrs. Aux accents enchanteurs d’immémoriales saveurs sorties tout droit d’un calice en or pur.

Heureux soient les buveurs à qui ces bienfaits sont accordés, car le royaume céleste leur est ouvert en permanence. A toute heure du jour ou de la nuit. 



Avec un tel récit, si sombre et subjectif, je me dis alors que Margareth allait avoir une vision bien noire de la Bourgogne. Aussi, je terminai là mon discours.



































 
A ces derniers mots, mon auditrice frissonna. Mais Margareth, d’un signe discret, m’encouragea à continuer ma narration.


III


« Et quand la pluie vous avait épargné, parfois c’était le gel qui vous assassinait ! Gerçures, engelures, crevasses, toux, quintes et fièvres s’emparaient de tout votre corps. Sol gelé, vigne givrée, rameaux tués. Sève absente, pas le moindre souffle vital. Puits et rivières prisonniers de la glace. Et encore les brouillards, le dégel, la gadoue, suivies de terribles chaleurs… Il fallait être fort pour vivre et résister.
Saint Vincent répondait quelquefois absent. On l’implorait, conjurait le sort ; la grêle affreuse s’abattait soudain, crevant le raisin, lacérant le feuillage, brisant le moindre sarment. Alors, laissant échapper sa colère, l’ouvrier prenait la statue de bois du saint, la jetait dans la Vouge ou la Bouzaise, à moins qu’il ne retournât la face du saint patron contre le mur de l’église durant la procession de janvier.
-        Où es-tu Saint Vincent, patron des vignerons ? Où donc es-tu passé, tandis que nous souffrons ?
Ce seul distique lâché dans la froidure hivernale ne trouvant pas d’écho, on s’en retournait tête basse au logis, trahi, floué par la vie. Une protection tant souhaitée, tant attendue n’était-elle qu’un leurre ? Etait-ce possible que sous le patronat du meilleur des saints protecteurs de la vigne, la défection de ce dernier soit envisageable ?
     - O bon saint Vincent pourquoi m’as-tu abandonné ? O Saint patron de la vigne, par Bacchus dieu du vin, pourquoi délaisses-tu tes humbles serviteurs ?
Et jamais de réponse à la question posée. Plus jamais de repos ni de cesse. Jamais, jamais.
J’appris alors  à la jeune journaliste qui m’accompagnait, que quand la trahison vous blesse, que vous vous retrouvez totalement démuni face aux injustices de la nature, une solution paraît alors la bienvenue : un remède bien plus efficace qu’un cautère sur une jambe de bois. Un remède à vous faire danser les sabots, tourner la tête et vous distraire : un pot de bon vin de chardonnay aux arômes fleuris, voire une pleine pinte de vin mordant d’aligoté,  à moins que ce ne soient quelques mesures de pinot beurot, ou de pinot franc rutilant. A la condition de les partager avec vos semblables, humbles travailleurs de la terre.
Par la grâce de cette  manne versée dans les verres,  toute injustice  et malheurs passés semblent peu à peu s’effacer. Le vin réparateur va ravir les gosiers, réchauffer les ventres, allumer les yeux. Et quelques gorgées plus tard, courbatures oubliées, rides envolées, fusent les rires. Les corps se mettent à vibrer, rassérénés par le miracle de cette liqueur vermeille qui se propage dans vos veines. La modeste ivresse partagée vous apaise l’esprit et l’âme - peut-être même sous le regard de saint Vincent - avant de vous endormir sur la table, tête dans les bras, pour quelques heures.
Il est encore possible que cette scène idéale ne soit qu’un effet de l’imagination. Au cabaret des princes, les gueux n’y ont place, c’est certain.
Une horrible piquette a pu vous être servie - boisson âcre, acide, amère. Les tâcherons qui produisent au bout de l’été par leurs incommensurables efforts le vin enchanteur n’ont que rarement le loisir d’y goûter. Peut-être y ont-ils trempé leurs lèvres, respiré les bien doux arômes, virtuels… Impénétrables sont les territoires de l’imaginaire, cette folle du logis qui vous saoule. 

Margareth, émue par mon récit, et toute attentive à ces histoires du passé, hochait de temps en temps la tête. Captivée, semblant boire mes paroles qu’elle enregistrait sur son petit magnétophone portatif, elle m’incita à poursuivre.
 Et si Monsieur le curé n’a pas le droit de faire la grimace en buvant devant ses ouailles le vin du bon Dieu, lui se permet, à la face de tous, tous les dimanches, de savourer une exquise liqueur, de préférence translucide, afin de ne pas tâcher son habit. Suave Montrachet, fringant Corton, Meursault enchanteur, Saint Aubin minéral. Tous ces vins blancs de chardonnay pour démontrer  - preuve à l’appui - aux humbles croyants rassemblés le dimanche, une possible idée du bon Dieu. Toutes ces richesses liquides afin de prouver – par démonstration in situ, la puissance divine. Et les pécheurs du dimanche de baisser la tête, tentés par le diable. Pour une simple gorgée de ce nectar, combien auraient été capables en pensée de tuer l’officiant, de lui faire rendre gorge, d’étrangler le représentant du bon Dieu…Sacrilège ! Par bonheur, Saint Vincent y pourvoyait.
Et Monsieur le Curé de lever vers le seigneur ses yeux clos, afin de mieux entrer en communication avec le divin. Instant sacré, un homme boit. Communication directe aux arômes de tilleul, de silex ou de pamplemousse. Aux effluves de rose, de beurre frais, de sauge ou de citrons mûrs. Aux accents enchanteurs d’immémoriales saveurs sorties tout droit d’un calice en or pur.
Heureux soient les buveurs à qui ces bienfaits sont accordés, car le royaume céleste leur est ouvert en permanence. A toute heure du jour ou de la nuit. 

Avec un tel récit, si sombre et subjectif, je me dis alors que Margareth allait avoir une vision bien noire de la Bourgogne. Aussi, je terminai là mon discours.






























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