lundi 29 mai 2017

bientôt le nouveau roman à Trébeurden... Extrait

CHAPITRE VIII



Le petit Valentin Bugalez poursuit sa scolarité en classe de cinquième, au collège public de Pleumeur-Bodou. Elève assidu et travailleur, il a bien sûr entendu parler de tous ces cambriolages ; et des empoisonnements mortels à la cigarette. Il a parlé de ces crimes avec ses parents, ses camarades d’école, qui eux, bien souvent, mettent tout sur le dos des « bougnoules ».
Il a fallu que Valentin argumente, leur réponde avec des mots choisis – sans rechercher ou attiser la polémique.
-          D’abord, chez nous, on n’a pas la télé ! Donc, on ne risque pas d’être désinformé ; car ce que l’on veut bien nous raconter à longueur de journée – comme si on avait que ça à faire, les écouter - relève souvent d’un discours simpliste. Regardez, dans notre classe et sur la région, on a pas mal d’élèves issus de l’émigration. Vous y voyez un problème, vous ? Et Mustapha qui est tête de classe, c’est un terroriste ? Et Monsieur Abdallah, notre prof de maths, vous diriez qu’il est nul ? Alors que tout le monde le kiffe ! Vous voyez bien ! Pensez par vous-mêmes, réfléchissez, et ne vous laisser pas influencer par les chaînes de télé parisiennes au service du pognon !
-         Ouais, mais tu fais de la politique à l’école et ça, y’a pas droit !
-         Si tu ne t’occupes pas de politique, la politique, elle, va s’occuper de toi : regarde ton papa au chômage, malheureusement, ton grand frère aussi ; et dans nos quartiers, combien de gens criblés de dettes, qui n’arrivent plus à payer leur loyer, leurs charges ? C’est une honte ! Il est là le problème ! C’est pas en regardant la télé et en crachant sur les étrangers que vous allez trouver un boulot plus tard. Soyons solidaires et bienveillants, rendons-nous service, échangeons, ce sera déjà un début !
Certains, dans le bus, sur la cour de récréation, pendant l’heure de cantine, se laissent convaincre, d’autres résistent ; mais Valentin, peu à peu, creuse son sillon comme jadis le faisaient ses ancêtres accompagnés par un vaillant cheval de trait, le postier breton. L’éternel attelage de la culture et du travail bien fait ; éternel attelage du progrès humain dans une nature complice. Valentin se demande comment un adolescent peut en arriver à se radicaliser. Il en a parlé à son père qui lui a montré sur Internet différents articles et travaux de chercheurs. Avec patience et pédagogie, avec des mots choisis pour un jeune adolescent, Fanch a expliqué, déplié les textes vus à l’écran, et conduit le jeune garçon vers un questionnement approfondi. Tous deux ont ainsi pu échanger, à plusieurs reprises sur le fait qu’on pouvait se laisser entraîner, puis s’isoler et rendre sa famille responsable de tous les vices - pour aller dans une direction où l’on n’est plus soi-même, où de nouveaux repères s’installent à la place d’autres, jugés imbéciles et surtout illicites, haram.
-          Le but, Valentin, c’est de parler librement, sans idée préconçue, de ne pas se farcir la tête d’images violentes et de jeux de guerre. Jouer doit rester un plaisir sain, sans se trouver un ennemi réel à détruire. Méfie-toi des infos sur le Net, des excès de discours sur tout et n’importe quoi.
-         D’accord, papa, mais ce monde actuel est plein de saloperies et de dangers, tu en conviens !
-         Bien sûr ! Raison de plus pour te renseigner auprès des adultes, de façon têtue et obstinée, sans rien lâcher, avec bienveillance. Pose-moi mille et une questions ! Sinon, à quoi je sers, moi ?
Et, dans un grand rire, les deux complices s’enlacent– leurs deux corps secoués par des chatouilles qu’ils se prodiguent l’un l’autre.
Le père continue de lire, de s’instruire, lors de ses insomnies – afin de mieux répondre à son fils Valentin.

« Ce n’est pas une affaire d’épaules
ni de biceps
que le fardeau du monde
Ceux qui viennent à le porter
sont souvent les plus frêles
Eux aussi sont sujets à la peur
au doute
au découragement
et en arrivent parfois à maudire
l’Idée ou le Rêve splendides
qui les ont exposés
au feu de la géhenne
Mais s’ils plient
ils ne rompent pas
et quand par malheur fréquent
on les coupe et mutile
ces roseaux humains
savent que leurs corps lardés
par la traîtrise
deviendront autant de flûtes
que des bergers de l’éveil emboucheront
pour capter
et convoyer jusqu’aux étoiles
la symphonie de la résistance »

Fanch a lu ce poème - au moins huit fois de suite. Il l’a murmuré, susurré, relu à haute voix, jusqu’à le connaître dans ses moindres détails - des images se superposant, sans cesse, aux mots de la tribu. Il aime beaucoup Abdellatif Laâbi, cet auteur marocain natif de la ville de Fès, la première université d’Afrique. Il y a quelques années, Fanch était allé écouter ce poète à Lannion lors d’une soirée « Il fait un temps de poème », organisée en son honneur. Depuis, notre marin contrarié consulte souvent les pages du Web, à la recherche de nouveaux textes, de nouveaux auteurs ; le monde est vaste et la danse des mots, autour de la poésie, infinie.

Fanch Bugalez s’imagine la peine et la souffrance de ces écrivains, de tous ces artistes nés en pays musulman, vivant sur le territoire français, ou européen et ayant à subir sans cesse le regard de l’autre : regard blessant, méfiant, haineux bien souvent. Que leur répondre à ces Français « de souche », à ces frères humains – le plus souvent absents à toute ouverture d’esprit ? Que leur dire ? « Non ! Je ne suis pas un terroriste ! Oui, je suis avec vous, révolté contre la barbarie et l’intégrisme religieux ! Non, je ne suis pas un ennemi de la France, ni un profiteur ni un assisté ! Oui, je suis comme vous terrorisé par ces fous de Dieu qui ne visent qu’à tout détruire autour d’eux ! »
Depuis la vague d’attentats contre nombre de citoyens, contre des innocents anonymes, croyants ou non, musulmans même, dans des cafés, des salles de spectacle, des aéroports, la terreur exercée et revendiquée par Daesh et l’État Islamique était inscrite dans toutes les têtes. Difficile pour beaucoup de gens de distinguer, parmi « tous ces étrangers qui ont pas des têtes comme nous », le bon grain de l’ivraie. On entendait dire :
-          I’ zonka moins picoler et séparer le bon grain de l’ivresse ! La mauvaise graine, c’est eux, ces lepénistes peine à jouir !
-         Nous, on les accueille, les étrangers. Pour preuve, notre maire  de Trébeurden et bien des gens ont accueilli des migrants venus de Calais pendant quelques mois, et y’a pas eu d’problèmes ! Pas un ! Alors que quelques mois auparavant, fallait les voir tous ces gueulards du F.N, collés à l’église de Trébeurden – comme si elle leur appartenait – et insultant les habitants de Trébeurden favorables aux migrants, qui finirent par leur répondre à coups de noms d’oiseaux : « Merlouille crapulant, barvette gicleuse, proutineau violet, lambourdeau, carpiote stridulée, phourmi râle, spigonette éberluée. »
-         C’est tout de même plus élégant et plus classe que de basses injures !
-         Et au moins, ça les éduquera un peu, ces ploucs du F.N ! Ornithologues de mes deux !

Ainsi se passait la vie chez les Bugalez, en attendant des jours meilleurs et l’arrestation des terroristes qui empoisonnaient au sens propre et figuré le cœur de cette paisible cité.



Aucun commentaire: